« Bien sûr la subversion n’a pas toujours l’ampleur d’une
révolte, et elle ne prélude pas toujours à la révolution. Mais elle est
toujours possible, au moins en certains lieux et sous des formes provocantes.
Elle est cette pratique utopique qui découvre le possible en le réalisant, hic
et nunc, par quoi quelque chose de la vie change. Et c’est le présent qui
change de sens : le présent de la présence. […] Elle ouvre un avenir.
Comment ? Comprenons bien ce qu’elle travaille et fait bouger, par quoi
elle est révolutionnaire. Ce n’est pas l’Etat : elle ne prend pas de force
cet énorme appareil ; si cet appareil passait dans d’autres mains, cela ne
ferait pas pour elle une telle différence qu’elle dût renoncer à ses
opérations. En ce sens, la subversion n’est pas politique. Cela ne signifie pas
que la lutte contre le système doive renoncer à toute action politique, comme
certains le pensent aujourd’hui : on ne perd rien à combattre sur plusieurs
fronts, et par exemple à participer à une campagne électorale [….] Elle
n’attend pas qu’on rase gratis demain, elle ne vise pas l’électrification plus
que les soviets. Ce qu’elle fait bouger dans la société civile, c’est ce qui
est à sa portée maintenant : ce n’est pas l’économique comme tel, c’est le
social, je dirais volontiers – tant pis si ce terme semble aujourd’hui tombé en
désuétude – les mœurs, on dirait aussi bien, à l’entendre comme certains
anthropologues, la culture. Elle desserre les mailles, les codes qui règlent
les comportements, elle leur donne de l’air, elle permet, ou plutôt elle prend,
une liberté de mouvement. Et ce n’est pas rien, croyez-le : le système
commence à se décomposer. »
Mikel Dufrenne, in Subversion Perversion,
1977, pp.151 sq.
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