" Dans le discours qu'aujourd'hui je dois tenir, et dans ceux qu'il me faudra tenir ici, pendant des années peut-être, j'auras voulu pouvoir me glisser subrepticement. Plutôt que de prendre la parole, j'aurais voulu être enveloppé par elle, et porté bien au-delà de tout commencement possible. J'aurais aimé m'apercevoir qu'au moment de parler une voix sans nom me précédait depuis longtemps: il m'aurait suffi alors d'enchaîner, de poursuivre la phrase, de me loger, sans qu'on y prenne bien garde, dans ses interstices, comme si elle m'avait fait signe en se tenant, un instant, en suspens. De commencement, il n'y en aurait donc pas; et au lieu d'être celui dont vient le discours, je serais plutôt au hasard de son déroulement, une mince lacune, le point de sa disparition.
J'aurais aimé qu'il y ait derrière moi (ayant pris depuis bien longtemps la parole, doublant à l'avance tout ce que je vais dire) une voix qui parlerait ainsi: "Il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, il faut dire des mots tant qu'il y en a, il faut les dire jusqu'à ce qu'ils me trouvent, jusqu'à ce qu'ils me disent - étrange peine, étrange faute, il faut continuer, c'est peut-être déjà fait, ils m'ont peut-être déjà dit, ils m'ont peut-être porté jusqu'au seuil de mon histoire, devant la porte qui s'ouvre sur mon histoire, ça m'étonnerait si elle s'ouvre"
Michel Foucault,
L'ordre du discours,
leçon inaugurale au Collège de France,
Gallimard, 1971, pp. 7-8
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