« Le 21 novembre 1831, les canuts (ouvriers de la soie) de Lyon, arborant rapidement un drapeau noir sur lequel figure l’inscription « Vivre en travaillant ou mourir en combattant », descendent en armes les pentes de la Croix-Rousse, obligent la garnison à faire retraite et prennent finalement le contrôle de la ville. » S’instaure alors une « véritable » cité ( au sens où les grecs de l’Antiquité employaient ce terme), dirigée par des chefs d’atelier et compagnons en soierie. Le 14 avril 1834, menacée de bombardement par les troupes du Roi, la Croix-Rousse capitule. L’expérience canut aura vécu. Elle aura toutefois suscité l’intérêt de grands noms de la pensée économique (Bentham ou Jean-Baptiste Say), de la philosophie (Marx), des utopies fourrieristes et de la religion saint-simonienne, ici, en France, comme dans toute l’Europe.
Le livre de Ludovic Frobert complète avantageusement celui de Fernand Rude Les révoltes des Canuts (1831-1834) [1]. Il en offre une vision synthétique qui mérite le détour, d’autant plus d’actualité que les idées de « classe sociale », de « luttes de classes » semblent, aujourd’hui, dépassées, au profit d’un management. Se pose aussi les questions de la confrontation avec les principes régulateurs de l’économie, de la contestation alors même que les termes de l’échange semblent forclos.
Le monde ouvrier canut, confronté à la révolution industrielle et à la nécessaire transformation et adaptation des conditions de travail, entend défendre la fabrique[2] comme une solution originale qui mêle économique et politique (les Droits fondamentaux), une expérimentation politique d’affirmation des Droits et de la démocratie. Au point que, pour tous, des ouvriers aux meneurs, la certitude que la démocratie nécessité toujours plus de démocratie est largement partagée. Est-ce là, ce qu’il faudrait entendre par ce que des auteurs contemporains appellent « la démocratie radicale » ?
En tout cas, c’est bien sur ce champ-là de l’expérimentation politique que l’on se trouve. Autant du point de vue de
l’organisation du mouvement, où l’on pensera les principes mêmes de l’idée politique d’association (contre-nature, puisque, dans les faits, négociants, industriels et ouvriers sont associés ; mais aussi plus prometteuse que les corporations et autres guildes professionnelles. Une telle réflexion s’imposera d’autant plus que les pouvoirs politiques locaux comme nationaux chercheront par tous les moyens de dissoudre ces associations de canuts… A trop vouloir interdire, a trop donner de publicité à cette interdiction, il est toujours possible de contourner l’interdit et de le subvertir : alors que la Loi Le chapelier interdit, depuis 1825, les associations à caractère professionnel, les sociétés mutuellistes se développent et acquièrent une véritable autonomie et apportent secours et entraide aux côtisants) : il s’agit de transcender la classe par la visée et la mise en œuvre d’un même intérêt ;
philosophique ( les idées de Saint-Simon, Marx, Fourrier, Proudhon) alimentent les réflexions des principaux protagonistes canuts – notamment dans la critique de la propriété, la théorie de l’impôt (Chastaing, grande figure du mouvement, pense l’impôt en corrélation avec les droits civiques, puisque selon lui, la destination de l’impôt est de maintenir la solidarité et la cohésion sociale, tout en réduisant les aléas et les inégalités) ;
la souveraineté – linguistique, lorsque le journal du mouvement lance un concours pour choisir le vocable se substituant à celui de canut, vécu comme péjoratif ; législative : un mot d’ordre se répand que puisqu’ils ne pouvaient faire la loi, il appartenait aux canuts de vérifier comment les élus du peuple s’acquittaient de leur charge ; démocratique : face à al monarchie compromise avec une aristocratie d’argent, il convenait de dénoncer les droits fondamentaux (Liberté et Egalité) qui étaient déniés aux ouvriers (dans une moindre mesure, aux femmes d’ouvriers : la volonté d’émancipation, si elle était réelle chez certains canuts, restait pourtant une affirmation marginale au mouvement) ;
la publicité : le mouvement des canuts fut couvert par plusieurs feuillets et journaux, dont L’Echo de la Fabrique, sous-titré « journal industriel et littéraire de Lyon ». et c’est un « peuple » instruit, qui revendique son instruction comme une condition nécessaire à la démocratie, qui devient peu à peu véritable organe de presse, marmite intellectuelle et bouillonnement de réflexions politiques et d’économie sociale.
Certes, le mouvement a vécu, été réprimé dans la violence et, par la suite, avec l’insurrection de 1848, mais aussi l’exode des métiers dans les campagnes (afin de mieux isoler les ouvriers les uns des autres) et la mécanisation , s’est éteint (d’autant que l’invention de la soie artificielle donnera le coup de grâce). Mais reconnaissons que cette prise de parole qui s’assume elle-même (en défiant le pouvoir et la centralité des pouvoirs) offre quelque chose de vivifiant quand il semble, aujourd’hui, que la parole du souverain soit de plus en plus minorée.
Pour compléter, les sources sont par ici
Le livre de Ludovic Frobert complète avantageusement celui de Fernand Rude Les révoltes des Canuts (1831-1834) [1]. Il en offre une vision synthétique qui mérite le détour, d’autant plus d’actualité que les idées de « classe sociale », de « luttes de classes » semblent, aujourd’hui, dépassées, au profit d’un management. Se pose aussi les questions de la confrontation avec les principes régulateurs de l’économie, de la contestation alors même que les termes de l’échange semblent forclos.
Le monde ouvrier canut, confronté à la révolution industrielle et à la nécessaire transformation et adaptation des conditions de travail, entend défendre la fabrique[2] comme une solution originale qui mêle économique et politique (les Droits fondamentaux), une expérimentation politique d’affirmation des Droits et de la démocratie. Au point que, pour tous, des ouvriers aux meneurs, la certitude que la démocratie nécessité toujours plus de démocratie est largement partagée. Est-ce là, ce qu’il faudrait entendre par ce que des auteurs contemporains appellent « la démocratie radicale » ?
En tout cas, c’est bien sur ce champ-là de l’expérimentation politique que l’on se trouve. Autant du point de vue de
l’organisation du mouvement, où l’on pensera les principes mêmes de l’idée politique d’association (contre-nature, puisque, dans les faits, négociants, industriels et ouvriers sont associés ; mais aussi plus prometteuse que les corporations et autres guildes professionnelles. Une telle réflexion s’imposera d’autant plus que les pouvoirs politiques locaux comme nationaux chercheront par tous les moyens de dissoudre ces associations de canuts… A trop vouloir interdire, a trop donner de publicité à cette interdiction, il est toujours possible de contourner l’interdit et de le subvertir : alors que la Loi Le chapelier interdit, depuis 1825, les associations à caractère professionnel, les sociétés mutuellistes se développent et acquièrent une véritable autonomie et apportent secours et entraide aux côtisants) : il s’agit de transcender la classe par la visée et la mise en œuvre d’un même intérêt ;
philosophique ( les idées de Saint-Simon, Marx, Fourrier, Proudhon) alimentent les réflexions des principaux protagonistes canuts – notamment dans la critique de la propriété, la théorie de l’impôt (Chastaing, grande figure du mouvement, pense l’impôt en corrélation avec les droits civiques, puisque selon lui, la destination de l’impôt est de maintenir la solidarité et la cohésion sociale, tout en réduisant les aléas et les inégalités) ;
la souveraineté – linguistique, lorsque le journal du mouvement lance un concours pour choisir le vocable se substituant à celui de canut, vécu comme péjoratif ; législative : un mot d’ordre se répand que puisqu’ils ne pouvaient faire la loi, il appartenait aux canuts de vérifier comment les élus du peuple s’acquittaient de leur charge ; démocratique : face à al monarchie compromise avec une aristocratie d’argent, il convenait de dénoncer les droits fondamentaux (Liberté et Egalité) qui étaient déniés aux ouvriers (dans une moindre mesure, aux femmes d’ouvriers : la volonté d’émancipation, si elle était réelle chez certains canuts, restait pourtant une affirmation marginale au mouvement) ;
la publicité : le mouvement des canuts fut couvert par plusieurs feuillets et journaux, dont L’Echo de la Fabrique, sous-titré « journal industriel et littéraire de Lyon ». et c’est un « peuple » instruit, qui revendique son instruction comme une condition nécessaire à la démocratie, qui devient peu à peu véritable organe de presse, marmite intellectuelle et bouillonnement de réflexions politiques et d’économie sociale.
Certes, le mouvement a vécu, été réprimé dans la violence et, par la suite, avec l’insurrection de 1848, mais aussi l’exode des métiers dans les campagnes (afin de mieux isoler les ouvriers les uns des autres) et la mécanisation , s’est éteint (d’autant que l’invention de la soie artificielle donnera le coup de grâce). Mais reconnaissons que cette prise de parole qui s’assume elle-même (en défiant le pouvoir et la centralité des pouvoirs) offre quelque chose de vivifiant quand il semble, aujourd’hui, que la parole du souverain soit de plus en plus minorée.
Pour compléter, les sources sont par ici
[1] 1982, La Découverte
[2] l'ensemble des industries dont le résultat est la confection des étoffes de soie
[2] l'ensemble des industries dont le résultat est la confection des étoffes de soie
3 commentaires:
Merci pour cette référence qui vous sera peut être empruntée à ma prochaine visite Monsieur Pigiconi ... Prenez le temps de déambuler dans ce quartier qui respire encore cette envie de démocratie et cette révolte... Lyon quelle ville !!!
Mais avec plaisir... C'est par des textes et des exemples semblables que je peux me convaincre que l'"utopie", que vilipendent les pseudo-réalistes ou pragamatiques, n'est pas qu'un vain mot ni une vilaine chimère.
???
et si les anonymes l'étaient un peu moins
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