Nicolas Sarkozy,
le défi permanent au Sens Commun.
Qui
ne veut ou ne rêve d’une société où le fraudeur serait puni pour sa fraude, le
travailleur récompensé pour son travail, le prédisposé au malheur et au
désespoir un peu plus réjoui, le suicidaire toujours en vie, le pédophile
éloigné de toute tentation, et, enfin, le Bien régnant afin que nous n’ayons
plus à subir quelque mal que ce soit ?
Ce
rêve n’est qu’humain. Plein de Bon Sens. Tout comme celui qui voulait
protéger, en 2002, les personnes âgées contre tous ceux qui, par quelque
disposition coupable, voulaient s’attaquer à leurs économies. Il est
incontestable que ce bon sens-là, nous le partageons tous. Et il ne s’agit pas
de savoir si nous voulons le mal pour le mal… comme si une pré-disposition
naturelle, pour ne pas dire génétique, nous y inclinait fatalement.
Oui,
certains d’entre nous commettent le mal, peut-être par ignorance de la norme,
certainement parce qu’ils poursuivent leur bien propre et individuel (il doit
bien y avoir quelque intérêt particulier à la faire), peu enclins à agir en
fonctions d’un sens commune, en tout cas par transgression. C’est d’ailleurs en
évoquant cet esprit de la transgression que Mr Sarkozy explique à Michel Onfray
une bonne part de l’histoire personnelle du candidat. Simplement, il y a quelque chose de contradictoire à
assumer la transgression et à revendiquer le soin médical, tout comme
l’explication scientifique, rationnelle, rassurante par son évidence, évidente
banalité,… et en tout cas nécessairement normative, à l’origine de toute
entreprise sécuritaire.
On
peut exiger et soutenir, comme principe d’actions, que le Bon Sens soit la
chose du Monde la mieux partagée. Surtout quand celui-ci se pare de
l’habillage scientifique. L’expert parlant toujours en connaissance de causes,
son discours ne peut que satisfaire et réparer nos angoisses alimentées de nos
incertitudes. Reste que l’ambition est réductrice et, pour le coup, aliénante,
au sens propre du terme, « rendre autre ». Car elle s’emploie simplement
à promouvoir une idée du Bien qui, loin d’être l’objet d’un assentiment commun,
impose une contrainte commune.
Et
c’est là que se joue ce défi permanent. Le glissement idéologique, à lui seul,
n’est rien s’il n’est accompagné et accompli par le glissement rhétorique. A
cet égard, il n’est pas anodin que la question des Droits de l’Homme soit
déplacée géographiquement, au-delà des frontières nationales. Celle-ci, à
entendre Mr Barnier, sur les ondes de France Inter, se pose avec d’autant plus
d’acuité qu’elle est déclinée ailleurs que chez nous, sous-entendant ainsi que
tous ceux qui l’agitent ici, chez nous, la provoquent inutilement. Ainsi
s’entend l’expression « droit de l’hommiste » qui alimenta le
discours de l’extrême droite. D’autres, ailleurs, justifieraient par là même
une croisade du Bien contre le Mal, de la Civilisation contre la Barbarie sans
percevoir qu’ils usent de la même violence pour mener à bien leur œuvre que
celle qu’ils cherchent à éradiquer. D’autres, enfin, ainsi qu’on l’entend ici
même en France, justifient le discours à la première personne du Sauveur contre
celui d’un collectif qui ne demande qu’à éclore.
Or
cette contrainte commune, quelle est-elle si ce n’est celle d’un Parlement qui,
majoritaire, numériquement, organise systématiquement la défiance envers tous
les contre-pouvoirs, qu’en un temps, plus préoccupé de l’intérêt général que de
soi-même (même si la condition de parlementaire fut et reste la chose du monde
la plus réservée qui soit), il sut mettre en place. Défiance envers la
presse : la collusion entre les groupes de presse, ainsi que l’illustre la
bise de Mr Sarkozy à Arlette Chabot, le soir du débat du 2 mai, et le candidat
de l’UMP s’étale à longueur de Unes. Plus grave encore, puisque la question est
centrale : cette défiance, en devenant un véritable sujet médiatique,
occulte toute idée de société à venir que porterait les candidats. Défiance
vis-à-vis des institutions qui, par leurs attributions, ont tout de même la
mission de garantir, même contre les atteintes d’une majorité parlementaire,
l’espace commun et public. Rappelons que ces institutions fonctionnent avec des
agents de l’Etat, quand leurs organes de décision sont désignés par les
politiques qui, pour certains d’entre eux, affichent leur volonté de ne pas remplacer
un fonctionnaire sur deux. Car ne nous y trompons pas, en ces temps où le
discrédit de la fonction publique est souvent de mise (surtout quand il s’agit
de mouvements de grève) : ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux
c’est ôter aux institutions de contrôle tout comme à celles chargées du service
public, tout moyen d’exercice de leurs missions civiques. Citons par
exemple la CNIL, dont les moyens et les missions ont été rognés. Le Conseil
Supérieur de la Magistrature qui s’oppose à telle désignation quand le
gouvernement la maintient et la rend effective. Le Conseil Constitutionnel,
dont les membres, nommés par le politique, sont élevés dans le sérail des
partis au pouvoir quand ils ne parachèvent pas ainsi leur carrière en siégeant
dans ces instances.
Autrement
dit, défiance parce que c’est avec les outils, les principes qui consacrent en
le rendant simplement possible l’espace commun que le pouvoir, auquel aspire Mr
Sarkozy, se pose et s’impose. Légalisant par là même la criminalisation du mouvement
social comme du mouvement migratoire, la prévention sans autre perspective
qu’une normalité toujours d’autant plus fragile que la force par laquelle elle
s’impose se confronte à la créativité transgressive, autrement plus puissante
qu’elle nous détourne de l’ordre établi de façon inédite et le déborde, presque
toujours violemment. On pourra toujours, par la suite, comme pour s’excuser de
n’avoir pas vu le coup venir, le séparer du mouvement social et l’isoler
absolument et artificiellement. C’est exactement ce qui est fait quand, dans un
discours du candidat, après les incidents de la Gare du Nord, celui-ci ne veut
surtout pas faire l’amalgame entre les fraudeurs et les pécheurs. Mais aussi,
en systématisant la frustration en laissant croire que l’on s’adresse à tous quand on n’aura de
réponses que pour quelques uns ; en essoufflant jusqu’aux aspirations les
plus individuelles que le libéralisme, se méfiant toujours d’une trop grande
libéralité (la diatribe contre mai 68 l’atteste), entend mettre en valeur.
Ce
bon sens, dès lors qu’il s’incarne en Nicolas Sarkozy, comme il a pu l’être
ailleurs, en Espagne avec Mr Aznar, en Italie avec Mr Berlusconi, et comme il
l’est aux Etats-Unis avec Mr Bush, est d’autant plus redoutable qu’il est
en contradiction et avec lui-même et avec le sens commun.
Non pas qu’il le réinterroge, mais il l’amenuise et le défait. Quand Blaise
Pascal, qui n’avait rien d’un subversif, exigeait de la force qu’elle fut juste
et de la justice qu’elle fut forte, il assumait pleinement ce que le bon sens
nous invite à oublier : l’aspiration sociale ne relève pas d’une linéarité
où tout le Bien lutte vaillamment contre tout le Mal, mais se construit de
cette apparente contradiction qui, en fait, n’en énonce qu’une essentielle
complémentarité. Justice et Force, Bien et Mal s’assument ensemble et non pas
l’un contre l’autre et par éradication de l'autre, ce que seul un "angélisme" pourrait oser mettre en oeuvre.
Harold
Pinter a pu dire : « Le langage s’emploie actuellement à tenir la
pensée à distance ». Ce qui vaut un mot d’ordre : ne nous laissons
pas endormir par ce que le Bon Sens qu’incarne Mr Sarkozy nous laisse entrevoir
comme solution. Nous avons déjà soupé à la promesse de la Tolérance Zéro,
de l’immigration choisie. Ne nous laissons pas déposséder de celle du
Sens Commun qui n’est autre qu’une manière de faire société ensemble, et
certainement la seule. En tout cas, juste ce qu’il nous faut.
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