dimanche 25 novembre 2012

Notre Dame des landes : un apparent consensus véritablement dissensuel.




Le président de l’Aéroport du Grand Ouest, Nicolas Notebaert, a publié, dans les colonnes du Monde (le 16 novembre), un point de vue où il revient sur les points de dissensus entre les Pro et Anti Notre Dame des Landes. Quelques heures plus tard, le Président de la République réitère son soutien au projet. Mais l’opposition, pour aussi marginale ou marginalisée qu’elle soit, ne renonce pas à s’organiser et à batailler ferme jusqu’à réoccuper les espaces et bocages promis à l’édification de ce qui est devenu un projet pharaonique, dispendieux et surtout inutile.

A lire et écouter les propos des partisans du projet, tout y est, mais il n’est pas certain que la démocratie elle-même y gagne.

Tout y est. Tout d’abord, un discours apparemment raisonnable et raisonné, quand les opposants manifestent plutôt passion et émotion (encore, nous avertit-on, qu’il faut dissocier l’émotion des riverains, opposants historiques et qui, de ce fait, sont légitimes à contester, à manifester un attachement à une terre qu’ils ont habitée et travaillée et qui attendent la réponse de la justice sur les recours déposés, de celle, encagoulée ou, récemment, dénudés, de groupuscules et individus incontrôlables et ingérables, c’est-à-dire aussi, du côté des promoteurs du projet, des individus dangereux et violents). Il est vrai que cette sacro sainte opposition entre la Raison et la Passion a eu ses heures de gloire dans l’histoire de la pensée et qu’elle offrait une occasion  inespérée d’opposer la sagesse de quelques uns (intéressé par le Bien Général, l’intérêt commun) et la vie dissolue des autres qui, lassait-on entendre, ne savent pas ce qu’ils disent et se laissent emporter par des intérêts « hors du commun ».

Puis les raisons.

D’ordre politique, institutionnel et démocratique. Ce qui justifie l’engagement des Pro c’est la représentation qui, au sein des collectivités territoriales, est favorable au projet. Les suffrages, élections après élections, ont reconduit cette majorité qui, de la droite à la gauche y trouvait un réel intérêt. D’ailleurs, le candidat Hollande, en novembre 2011, le reconnaissait quand il avertissait que lui, non élu, un tel projet se ferait tout de même. Et de se référer aux enquêtes d’utilité publique, aux recours divers et variés, aux délibérations souveraines des assemblées élues. Autrement dit, le consensus au sein de la représentation élue vaut celui de la masse, à la condition qu’elle se taise. Comment d’ailleurs pourrait-elle ou devrait-elle parler ? Sait-elle bien ce qui est bon pour elle ? Et, argument d’autorité suprême, il s’agit tout de même bien de dire que seule la « rationalité » qui compte est celle qui se dégage de ces assemblées. L’histoire des sociétés ne s’écrit que par ces actes d’autorité qui ne peuvent être contestés. Et cette histoire est nécessairement linéaire ! La fatalité sécularisée ! 
Raison d’ordre constitutionnel, aussi. Le principe de précaution étant gravé dans le marbre de la constitution, l’exigence de « développement durable » étant devenu l’impératif catégorique, transmettre aux générations futures un environnement sain et protégé s’impose… Irresponsables, alors, celles et ceux qui ne l’entendent pas ainsi. Comment, en effet, garantir et protéger le développement d’une communauté urbaine qui ne cesse d’attirer de nouveaux habitants, de vouloir s’étendre en programmes immobiliers, si les responsables élus locaux ne prennent pas, de façon préventive, toutes les mesures permettant de protéger l’habitat contre les nuisances sonores et les possibles accidents aériens ? Si détruire le bocage (mais on vous rassure, la loi sur l’eau sera tout à fait respectée) peut attrister les amoureux de la nature, plus ou moins bobos, c’est le moindre coût que toute la société, qui doit s’engager derrière ses élus, doit accepter !

Raison d’ordre économique, ensuite. En période de crise économique, se lancer dans de tels investissements, véritables paris sur l’avenir qu’aujourd’hui comme hier nous devançons, est une aubaine pour les économies locales (dans ce monde globalisé, un gouvernement qui réinscrit du local ne peut être que sage), car ce sont des emplois qu’un tel programme crée. A tous les idéalistes qui prônent le retour à la nature, ceux de la décroissance et autres (ne vous a-t-on pas dit que cette décroissance est une régression et que le retour à l’état de nature à son charme dans la littérature et les histoires à la Rousseau, certainement pas dans la vraie vie), comprenez d’abord l’économie, vous saisirez alors la nécessité !

Raison d’ordre sécuritaire, enfin. La loi est la loi (personne ne le conteste, soit dit en passant), son respect s’impose à tous. C’est une façon bien commode de désigner l’opposant, le réfractaire, le kyste, qui est nécessairement radical, un tantinet terroriste, en tout cas ennemi de la démocratie et de ses procédures. Capricieux aussi, car il faut bien reconnaître qu’il est bien étranger à l’image formatée que l’on se fait du citoyen lambda et de son comportement civique. A l’image décadente qu’il impose, même au plus fort de sa vulnérabilité (surtout s’il l’exhibe) ou lui opposera la riposte policière, nécessairement plus policée.

A l’apparence raisonnable de ce discours, on se laisse surprendre par l’effort intéressé de persuasion qui est ici déployé. Et il n’est pas indifférent de remarquer que ceux-là mêmes qui défendent le projet furent aussi les plus farouches promoteurs du traité de Constitution Européenne. Il n’y a,  de leur point de vue, pas d’autre alternative pertinente. Le Bien général y est consacré, la Bonne parole en est le relai. Fermer le ban, il n’y a plus rien à dire. Et ce n’est certainement pas le dialogue, même dans un souci de réconciliation qui changera l’affaire. Ce qui est enjeu c’est véritablement un condensé de « Discours de la méthode » de la vie politique. En effet, ce qui accouche des délibérations des assemblées de représentants élus n’est aucunement comparable à ce que génèrerait un vrai dialogue où la confrontation des points de vue, même les moins experts et sans se demander qui représente qui, serait enfin possible. A la performance et à l’utile poursuivi par les premières, on refuse d’admettre toute légitimité et pertinence que ce soit aux secondes. 

Mais comment ne pas s’étonner alors que prendre Voix au chapitre soit un parcours du combattant face à des procédures qui excluent sciemment des participants (les kystes, les radicaux, les jeunes… ces caricatures que notre personnel politique se plaît à désigner pour se rassurer et s’assurer d’être dans son bon droit), Comment ne pas s’étonner, en tout cas pour en noter l’insupportable contradiction et violence, qu’on institutionnalise autant le silence de la majorité, voire l’injonction de se taire, en véritable principe et impérieuse exigence de la vie politique ? 





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