On l’a dit innovante, parfois polluante. Elle s’inscrit dans
nos paysages comme site ou zone, notamment par son patrimoine architectural.
Souvent, on craint qu’elle ne soit délocalisée là où la main d’œuvre est moins
chère. En économie, elle est un secteur à part entière. L’industrie s’impose
par ses cohortes d’employés qui, à heures fixes, y entrent ou en sortent. Elle
fut aussi ce que les historiens ont pu qualifier de révolution (XIXe siècle),
symbolisant une sorte de tournant dans l’histoire de l’humanité. Mais, le mot a
pu désigner autrefois quelque chose qui
signifiait autant l’acte que la volonté d’entreprendre. Industrie était,
somme toute, synonyme de volonté, d’aptitude à mettre en œuvre, d’habileté à
déjouer des tours que la fortune, la nature pouvaient opposer aux hommes. En
somme, avant d’être cette activité monotone et répétitive dans les ateliers de
production, à la chaîne ; avant de renvoyer aux cols bleus qui, dans leur
uniforme de labeur, s’échinent à la tâche, il y avait bien là, dans ce mot,
dans le geste et dans l’ouvrage mis en chantier, quelque chose de
l’intelligence pratique, quelque chose de créatif.
Certes, toute une tradition de pensée, de Platon jusqu’à
Marx, l’évoque comme un lieu d’exploitation, de domestication et
d’asservissement, mais en lui accordant un rôle primordial pour l’institution
des relations sociales : « art auxiliaire » du politique, dira
Platon, c’est-à-dire nécessaire mais non suffisant à la vie de la cité. En
parlant du prolétaire, Marx décrira ce que fut l’ouvrier et l’amènera à la
prise du pouvoir par la lutte des classes. C’est souligner ainsi ce qu’une
critique du machinisme et de la technique dévoilera : l’ouvrier plus ou
moins disqualifier par la bourgeoisie ou ces élites qui savent, mais surtout
l’ouvrier comme force de productivité. Ainsi éjectés, les pauvres du
« philosophe », comme le souligne Rancière, sont exclus du discours
d’institution politique, parce que, ainsi que le veut l’autorité de la parole
et du signe, exclus du savoir.
Mais tant s’en faut d’oublier la puissance de la parole
ouvrière !
Rappelons juste ces mouvements qui, de 1830 à 1850, de Lyon
ou de Paris, dans les métiers du textile ou de l’imprimerie, marquent cette
détermination à s’émanciper. Non point tant en renversant le pouvoir mais en se
substituant au pouvoir des lettres, du discours de salons. En œuvrant à la poétique des sujets. Ouvriers typographes
ou maîtres tisserands, ils se font entendre non seulement parce qu’ils
revendiquent de meilleures conditions mais aussi parce qu’ils instituent une
communauté de biens, matériels comme immatériels. Ainsi donc, l’industrie est
la marque du faire, du savoir-faire, d’une intelligence du monde qui se partage !
Le travail, pour aussi pénible et laborieux qu’il soit, en est le sens. Cruauté
de notre époque : l’ouvrier est plus, aujourd’hui, son employabilité, son
équivalent temps plein et son interchangeabilité que sa propre et nécessaire
industrie. Désindustrialiser est l’aveu de ce déni.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire