Voyage en Europe, à travers des expériences de vie
communautaire.
Outre la diversité des « communautés »
rencontrées, des pratiques et des principes qui les animent, le récit
s’organise et se nourrit de réflexions politiques, économiques et sociologiques
qui le rendent particulièrement stimulant. Programmé et réfléchi, avant d’être
mis en œuvre, c’est à un véritable parcours initiatique à travers l’Europe,
dans ces lieux qui, avant d’être de lutte, sont d’abord des lieux de vie. Pour
les auteurs, ces sentiers, fragiles, sont d’abord le fait d’une utopie vive et,
ainsi qu’ils le soulignent en conclusion du livre :
« L’utopie n’est pas nulle
part, mais partout où on la reconquiert, loin des fantasmes de l’avenir, pour
la ramener de la fin de l’histoire à ce moment précis du présent. L’Utopie
n’est pas nulle part, mais ici. Parce que l’Utopie, c’est appartenir à l’ici et
maintenant. D’ailleurs, elle est si ancrée dans le présent que l’avenir vous
appartient. Elle est ce qu’Ernst Bloch a appelé le « moment
utopique » : cette fraction de seconde précédant toute chose, là où
tout est possible. Elle est cette minuscule inspiration que l’on prend avant de
sauter dans le vide, l’étincelle qui traverse nos synapses lorsque l’on
comprend que, après tout, on est capable de voler… »[1]
Entre activisme et idéalisme béat d’un autre monde enfin
possible, c’est tout de même bien à l’épreuve de nos sociétés contemporaines et
de leur logique libérale ou néo-libérale que se confrontent tous ces utopistes
contemporains. Par là, c’est aussi une redéfinition de ce qui est politique
qu’ils élaborent. Une politique incarnée et pas simplement déclarée qui passe
par la vulnérabilité des corps et des actes :
« Cette incarnation du
politique résulte du désir de dépasser toutes les séparations, que ce soit
entre la vie et les croyances, ou entre la nourriture dans son assiette et la
spiritualité. Une attention particulière est portée à chaque acte, relié à tout
ce qui l’entoure, à la fois dans le temps et dans l’espace, et à ses
conséquences. Chaque moment de la journée devient politique par le choix que
l’on effectue. La politique ne se résume plus au simple rituel du bulletin de
vote glissé dans une urne tous les quatre ans pour désigner quelqu’un qui doit
vous représenter. Au cœur de ce type de vie, on retrouve le désir de tout
maintenir en équilibre, ce qui n’est pas toujours évident. »[2]
Parmi les leçons, deux ressortent. Tout d’abord, cette idée
que la politique ne se réalise pas à partir d’une conception linéaire de
l’histoire : la communauté se redessine à tout moment ; avoir prise
sur les événements, c’est s’engager dans un ici-et-maintenant qui ne renonce
pourtant pas à s’installer dans une permanence, dans une longévité qui se
réécrit plutôt qu’elle ne se définit comme une suite héritée, transmise et
orientée vers une fin postulée. La deuxième leçon relève du procès de la
démocratie libérale qui s’organise par la délégation de la parole, qui n’est
autre qu’une disqualification de cette même parole. Un système sans
représentation, un système où s’équilibrent ces prises de parole singulières et
l’intérêt pour le présent, qui est intérêt pour son environnement, aussi bien
écologique, économique que personnel. A une politique devenue « la
mainmise professionnelle sir le pouvoir par des institutions et des
bureaucraties distantes et coercitives », il s’agit d’opposer « la
vraie politique [qui] se déroule entre des gens détenteurs de connaissance
locale et d’expérience collective, face à face dans l’espace public. »[3] En somme, la politique ne
se décrète pas.
Avoir prise sur les événements, c’est, non pas se disposer à
une autonomie à conquérir et à réaliser, mais bien s’appuyer, s’ancrer dans
cette autonomie singulière des uns et des autres. A une conception de la
politique déterminée par une fin à faire advenir (le progrès, le bonheur,
etc.), chacune de ses expériences, incomprises par les institutions, évoquent
l’autonomie de fait des voix qui circulent à l’intérieur de chaque assemblée.
La politique n’est plus alors un surplus à construire ou à aménager, elle
est dans ce geste et dans la vulnérabilité assumée de l’ici-et-maintenant.
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