L’État produit un nationalisme dominant [celui des clercs,
des agents de l’État, de la noblesse d’État tout autant que des membres de
commission nommés], le nationalisme de ceux qui ont intérêt à l’État ; il
peut être discret, de bonne compagnie, ne pas s’affirmer de manière outrancière.
L’État produit chez ceux qui sont victimes de la deuxième face du processus [l’intégration
est domination : l’intégration est condition de et conditionnée par la
domination des intégrés], chez ceux qui sont dépossédés par la construction de
l’État-nation, des nationalismes induits, réactionnels : ceux qui avaient
une langue et n’ont plus qu’un accent stigmatisé (comme les Occitans). Beaucoup
de nations se construisent sur l’inversion d’un stigmate. Ces nationalismes
induits, réactionnels, m’inspirent des sentiments ambigus. Évidemment, ils sont
tout à fait légitimes dans la mesure où ils essaient de convertir les stigmates
en emblèmes. Par exemple, vous pouvez vous dire que le serveur basque qui vous
sert une bière à Saint-Jean-de-Luz en français parle bien le français pour un Basque,
ou penser qu’il parle français avec un accent dégueulasse… C’est un changement
considérable. Mais en même temps, qu’en faire ? Faut-il être basque ?
L’ambiguïté des deux nationalismes est inhérente au processus de construction
de l’État.
Ce processus que nous sommes obligés de considérer comme
inévitable – il est associé à tous les exemples d’État connu –, est-il vraiment
universel ? Ne peut-on imaginer, en vertu du droit à l’utopie contrôlée,
fondée sur l’étude des cas réalisés, des voies vers l’universel qui ne s’accompagnent
pas d’une monopolisation ? Cette question a été posée par les philosophes
du XVIIIe siècle de manière à la fois raffinée et naïve. Je vous offre, pour la
fin, un très beau texte de Spinoza, en remerciement, comme disait Lacan, de
votre assistance aux deux sens du terme : « Par conséquent, un État qui, pour assurer son salut, s’en
remettrait à la bonne foi de quelque individu que ce soit, et dont les affaires
ne pourraient être convenablement gérées que par des administrateurs de bonne
foi, reposerait sur une base bien précaire. Veut-on qu’il soit stable ?
les rouages publics devront être alors agencés de la façon que voici : à
supposer indifféremment que les hommes chargés de les faire fonctionner se
laissent guider par la raison ou les sentiments, la tentation de manquer de
conscience ou d’agir mal ne doit pas pouvoir s’offrir à eux. Car, pour réaliser
la sécurité de l’État, le motif dont sont inspirés les administrateurs n’importe
pas, pourvu qu’ils administrent bien. Tandis que la liberté, une force
intérieure, constitue la valeur (virtus) d’un particulier, aucun Etat ne
connaît d’autre valeur que sa sécurité. »[1]
Pierre Bourdieu,
Sur l'Etat - cours au Cours au Collège de France
édition Seuil, coll; "Raisons d'agir"
pp. 366-367
1 commentaire:
Je ne suis pas du tout convaincu par ce texte. Si je résume, il existe un nationalisme d'Etat - celui des clercs - et un nationalisme de réaction - appelons-le des minorités. Sauf, que ce deuxième nationalisme est une réaction au premier, lui succède et donc s'inscrit en lui et que deuxièmemment, ce nationalisme-là s'appelle plutôt un régionalisme ou un particularisme, bref, tout, sauf une quelconque forme de nationalisme. Ce que Bourdieu appelle ici "nationalisme d'Etat" ressemble plutôt à la "domination", et il reste donc ici philosophe et non politique.
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