C’est en 2006 que paraît, en
France, ce savoureux (il faut apprécier toutes les digressions sarcastiques du
narrateur) et génial petit roman de José
Saramago, Prix Nobel de littérature, La
Lucidité. Communiste, altermondialiste, il se lance ici dans une fable
politico-policière. Aux élections municipales, 83% des électeurs de la capitale
ont voté blanc. Branle-bas de combat au gouvernement : c’est une injure
faite à la démocratie. Tous les moyens sont bons pour y répondre et déjouer les
forces subversives et malfaisantes : abandon de la capitale par les
membres du gouvernement et leurs administrations ; attentat à la bombe,
ourdi par le ministre de l’intérieur qui veut faire porter la responsabilité des morts à ces
rebelles qui insultent la démocratie ; tentative d’infiltration du
groupuscule « anarchiste »
soupçonné et, faute de preuve, accusé d’être à l’origine de cette sinistre
provocation ; assassinat de sa responsable, parce qu’en la matière, il
faut bien des coupables et ça ne peut pas être ceux qui nous gouvernent et nous
dirigent. La lucidité, ce sera celle du commissaire envoyé par le ministre pour
réunir les éléments (il n’y en aura pas !) de la culpabilité des innocents
suspectés, qui démissionnera de sa fonction avant que les forces armées ne
donnent l’assaut au repère des « terroristes » de la démocratie. Ce
sera aussi celle du peuple de la capitale qui, au bout du compte, alors même
que les institutions gouvernementales ont déserté le terrain, battant
minablement en retraite, s’organise et parvient à bien vivre ensemble. En tout
cas, ce ne sera pas celle du gouvernement et pouvoir en place qui, se dévouant
à la cause commune ne cherche pas à comprendre (imaginez les apparitions, sur
les écrans télévisés, d’un premier ministre ou président de la république – par
respect pour Saramago, ces personnages, du haut de leur fonction, n’ont pas de
majuscules – grondant ce peuple inculte et immature qui se laisse aller à la
plus vile subversion qu’est le vote blanc).
Allégorie sur la comédie du
pouvoir, elle dit bien un peu comment fonctionnent nos institutions :
dialoguez, discutez, opposez-vous aussi et contestez telle ou telle décision
(d’un air poli, on consentira à vous laisser la parole, mais une fois la chose
dite, on n’en tiendra peu compte, pas plus que les arguments développés), mais
Nous qui sommes en responsabilité, nous savons ce qui est bon pour vous, pour
l’ensemble de la communauté. Et ce que nous montre le peuple de la capitale, c’est
qu’il faut sacrément manquer de lucidité pour les croire, Eux, si lucides. En
tout cas, face à un système qui ne reconnaît pas le rejet, il y a autant de
clairvoyance dans le personnage du commissaire qui s’oppose à son supérieur
hiérarchique que dans ce peuple silencieux.
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