mercredi 2 juillet 2008

De Claude Régy

Sur l’attente, nécessaire au théâtre

« Héraclite dit : si on n’attend pas, on ne découvre pas ce qui est hors de notre attente, ce qui dépasse notre attente, ce qui est hors de toute attente. Ce qui n’est pas attendu ne peut être connu. Héraclite le qualifie d’introuvable et dit que, pour l’atteindre, il n’y a pas de passage. Il s’agit de travailler sur un matériau introuvable – il ne faut pas se décourager pour autant – et aussi sur un matériau pour lequel, en principe, il n’y a pas d’accès – ce qui en veut pas dire qu’il ne faut pas tenter de passer. C’est le mouvement qui nous occupe, pas le résultat.

L’état d’attente, c’est exactement l’état de latence, l’état latent. Et j’ai rapproché alors la phrase d’Héraclite d’une phrase de Rilke – Rilke le magnifique : « l’aventure silencieuse des espaces intervallaires ». C’est essentiel d’ouvrir son esprit aux espaces intermédiaires. A ce qui est entre. Ne rien voir comme déparé. « Unité entre le reflet, la réflexion et l’objet », note Peter Handke dans Carnets du Rocher. »

Sur le théâtre politique

« Pour être précis sur ce point du théâtre politique, je veux citer Heiner Müller, qu’on en peut suspecter d’apolitisme : « Je crois que ce fut l’illusion de la gauche des dernières décennies, celle des intellectuels européens et en particulier des gens de lettres, de penser qu’il pourrait et devrait y avoir une communauté d’intérêts entre l’art et al politique. En dernier ressort, l’art n’est pas contrôlable. Ou alors il peut se soustraire sans cesse au contrôle. Et c’est pourquoi il est presque automatiquement subversif dans ce genre de structure. Naturellement, l’art abandonne sa qualité subversive dès l’instant où il essaie d’être directement politique, c’est là le problème et ce fut l’erreur générale, le piège. »

C’est violent et clair.

Une autre texte du même Heiner Müller : « De la même façon, l’art est une pratique aveugle. Je vois là une possibilité. Utiliser le théâtre pour de tout petits groupes – pour les masses, il n’existe déjà plus depuis très longtemps – afin de produire des espaces d’imagination, des lieux de liberté pour l’imagination, contre cet impérialisme d’invasion et d’assassinat de l’imagination par les clichés et les standards préfabriqués des médias. Je pense que c’est une tâche politique de première importance, même si les contenus n’ont absolument rien à voir avec les données politiques. »

Exacte distance entre art et politique qui maintient vivante la subversion.

J’essaie de me tenir là.

J’essaie de suivre Gordon Graig : « Mais où est donc l’école ? Je voudrais rester pour étudier semaine après semaine, tandis que quelqu’un qui sait tout du langage me communiquerait une partie de son savoir. »

C’est donc, pour faire du théâtre, se tourner vers l’étude du langage. C’est engager une réflexion sur le langage. S’orienter vers une théâtralité qui serait inhérente à l’écriture. »

Claude Régy,

« Les états latents du réel »,

conférence du 17/11/03,

in Le Corps, le sens,

Seuil.

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