mercredi 6 août 2014

Les « Cours sur l’Etat » d’Emile Durkheim.


Les Leçons de sociologie rassemblent des cours professés, par Emile Durkheim, à Bordeaux puis en Sorbonne, au début du XXe siècle. Il s’agit, ici, de six leçons qui portent toutes sur la « morale civique » et qui permettent à l’auteur d’évoquer la définition de l’Etat, ses formes ainsi que les rapports de l’individu à l’Etat et à la démocratie. Le souci de Durkheim est de tenter de comprendre ce qu’est une société politique et quelles sont les relations entre l’individu et cette société constituée. Par ailleurs, si Durkheim concentre toute sa réflexion sur l’Etat, il n’est pas impossible d’en dégager des éléments d’une conception de l’espace public, dont nous verrons qu’elle peut être en décalage avec la conception habermassienne.
Si l’on veut se faire une idée de la vision durkheimienne de la politique, il faut alors convenir que celle-ci renvoie à une conception organiciste et non philosophique de la société. Conception organiciste : c’est tout de même, d’abord et avant tout, la relation de la partie avec le tout qui préoccupe l’auteur. Ainsi, constatant l’inaction intrinsèque de l’Etat, au contraire des activités des administrations chargées de l’exécution des décisions gouvernementales, Durkheim s’autorise d’une comparaison avec les systèmes musculaire et nerveux. « On voit la différence qu’il y a entre [les administrations] et l’Etat ; cette différence est celle qui sépare le système musculaire et le système nerveux. »[1] On notera ainsi que, selon Durkheim, les formes actuelles de la société politique correspondent à une évolution organique de l’individu (c’est parce que l’humanité s’est développée ainsi qu’elle l’a fait, que la configuration de nos sociétés est ce qu’elle est), à quoi correspond celle de la société elle-même, de telle sorte qu’un retour en arrière, qu’une renaissance de la société à elle-même et à ses propres aspirations, est non seulement impossible, mais proprement un pur non-sens. C’est souligner, par là, combien il y a une solidarité intrinsèque entre les parties et le tout. Nous verrons ainsi que l’Etat n’a plus rien alors d’une superstructure, quasi-transcendante, inaccessible aux individus qui le révéreraient comme quelque chose qui, en dehors de la société même et loin des individus, leur serait tout à fait étranger. Mais c’est aussi une vision non philosophique. Premièrement, parce que le propos s’alimente de références à l’anthropologie (il sera souvent fait mention des sociétés primitives, traditionnelles, élémentaires), de références à l’histoire et à l’évolution. Deuxièmement, parce que Durkheim s’emploie, tout au long de ses leçons, à dénoncer les préjugés théoriques, les visions artificielles et qu’il dira simplistes que les traditions philosophiques, d’Aristote, à Hegel, en passant par Rousseau et Kant, développent.
Qu’est-ce qu’une société politique ?
Parmi les préjugés que Durkheim s’emploie à révoquer, il y a ceux de la famille et  du territoire. Si l’on a pu étendre l’organisation politique de la société sur le modèle du clan familial ou attacher cette organisation à un sol, espace géographique dont il faudrait défendre les frontières, on n’a  pu que se tromper. D’abord, parce que s’il est vrai que, dans le cadre de la famille et de l’ordre patriarcal, une certaine relation de pouvoir, entre les membres et le patriarche, se manifeste, cet ordre suppose une identité entre les membres eux-mêmes et le chef de clan, une consanguinité qui ne peut se trouver dans l’ordre sociétal. « Jamais on n’a vu un groupe formé de consanguins, et vivant à l’état d’autonomie sous la direction d’un chef plus ou moins puissant. Tous les groupes familiaux que nous connaissons, qui présentent un minimum d’organisation, qui reconnaissent quelque autorité définie, font partie de sociétés plus vastes. Ce qui définit le clan, c’est qu’il est une division politique en même temps que familiale, d’un agrégat social plus étendu. […]L’organisation des groupes partiels, clans, familles, etc., n’a donc précédé l’organisation de l’agrégat total qui est résulté de leur réunion. D’où il ne faut pas conclure davantage que, inversement, la première est née de la seconde. La vérité est qu’elles sont solidaires, […] et se conditionnent mutuellement. Les parties ne sont pas organisées d’abord pour former un tout qui s’est organisé ensuite à leur image, mais le tout et les parties se sont organisées en même temps. »[2] Par ailleurs, s’il est vrai que l’attachement au territoire est un attachement, d’abord récent, ensuite, patrimonial, il manifeste surtout une exigence qui risque de détourner la société politique de ses buts pratiques. C’est tourner les affaires politiques vers le dehors, vers l’appropriation de ce qui n’est pas elle, et renoncer ainsi à la politisation propre de la société civile. Mais, nous préviendra Durkheim, il s’agit aussi et surtout d’un anachronisme : le cours même du développement des sociétés occidentales fait qu’il nous faut renoncer à ces seules préoccupations de conquêtes que l’on connaissait auparavant, qui n’étaient pas tout à fait des conquêtes territoriales, bien plutôt des conquêtes sur des populations. Ainsi, « comparez le petit nombre de choses sur lesquelles les délibérations gouvernementales portaient au XVIIIe siècle, et la multitude d’objets auxquels elles s’appliquent actuellement. L’écart est énorme. Jadis, les affaires extérieures occupaient presque seules l’activité publique. Le droit entier fonctionnait automatiquement, d’une manière inconsciente ; c’était la coutume. Il en était de même de la religion, de l’éducation, de l’hygiène, de la vie économique, au moins en grande partie ; les intérêts locaux et régionaux étaient abandonnés à eux-mêmes et ignorés. Aujourd’hui, dans un Etat comme le nôtre, et même avec des différences de degrés, comme le sont de plus en plus les grands Etats européens, tout ce qui concerne l’administration de la justice, ma vie pédagogique, économique du peuple, est devenu conscient. »[3] C’est souligner donc que la tendance, et le cours naturel de l’histoire des sociétés humaines, est d’incorporer et d’intérioriser tout ce qui, diffus dans la société humaine, doit, par le biais de l’Etat, devenir conscient. En même temps, par ces deux extraits, on remarque que l’institution de l’Etat n’est pas le fait de ce que la philosophie politique appelle la « modernité » ; qu’il n’y a pas, entre la société, les membres qui la constituent, et l’Etat, structure et organe qui lui donne son principe et sa vitalité, en tout cas, son expression, une extériorité. C’est un développement simultané et quasi congénital qui les définit.
Qu’est-ce donc que la société politique ? Si l’on a raison de la définir comme l’opposition entre gouvernants et gouvernés, Durkheim insiste lourdement sur le fait que toute société politique implique la pluralité et la distinction[4]. Dans sa définition, il fera intervenir la perspective d’une domination (l’opposition ne sera pas pour autant celle entre dominants et dominés, car nous verrons combien les dominés consentent, s’offrent et incorporent la domination à l’autorité comme une condition même de leur existence et identité plurielle). La société politique est donc « une société formée par la réunion d’un nombre plus ou moins considérable de groupes sociaux secondaires, soumis à une même autorité, qui ne ressortit elle-même à aucune autre autorité supérieure régulièrement constituée. »[5]
Par cette définition, qu’il réserve aux seules sociétés politiques (sous-entendu : il y a bien d’autres types de sociétés, mais celles-ci ne sont pas nécessairement politiques), Durkheim signifie deux choses essentielles. D’abord, ce n’est pas la question du Droit qui prédomine. On le verra par la suite, mais la question du Droit, pour Durkheim, est un artifice non déterminant pour la constitution politique de la société. Ensuite, cette opposition entre gouvernants et gouvernés, qui peut être une opposition frontale (il y a contradiction) mais qui est plus fondamentalement une opposition entre des positions occupées dans l’organisation de la société, nous amène à renoncer à la définition classique de la société politique et démocratique qui postule l’identité entre gouvernants et gouvernés (identité qui se manifeste, en définitive, dans les sociétés primitives, moins complexes et traditionnelles).
« Cette conception de l’Etat se rapproche trop évidemment de celle qui est à la base des soi-disant démocraties primitives. Elle s’en distingue en ce que l’organisation extérieure de l’Etat est autrement savante et compliquée. On ne saurait comparer un conseil de sachems à notre organisation gouvernementale, même la fonction serait-elle fondamentalement la même. Dans un cas comme dans l’autre, elle serait privée de toute autonomie. Qu’en résulte-t-il ? C’est qu’un tel Etat manque à sa mission ; au lieu de clarifier les sentiments obscurs de la foule, de les subordonner à des idées plus claires, plus raisonnées, il ne fait que donner la prédominance à ceux de ces sentiments qui paraissent être plus généraux.
Mais ce n’est pas le seul inconvénient d’une telle conception. Nous avons vu que dans les sociétés inférieures, le caractère rudimentaire du gouvernement si faible, ont pour conséquence un traditionalisme rigoureux. S’il en est ainsi, c’est que la société a des traditions fortes et vigoureuses qui sont profondément gravées dans les consciences individuelles ; et ces traditions sont puissantes précisément parce que les sociétés sont simples. Mais il n’en est pas de même dans les grandes sociétés d’aujourd’hui ; les traditions ont perdu de leur empire et, comme elles sont incompatibles avec l’esprit d’examen et de libre critique dont le besoin se fait toujours plus vivement sentir, elles ne peuvent pas et elles ne doivent pas garder leur autorité d’autrefois. »[6]

Exclure la question du Droit, renoncer à toute identité voire toute identification des Parties avec le Tout, c’est, dans cette tentative de compte-rendu de la définition durkheimienne, envisager la société politique comme fondamentalement un agrégat, qui conserve la singularité et la particularité des parties ; qui pose les unes et l’autre, l’Etat (organe éminent, système nerveux de la société), comme se co-constituant les unes et l’autre ; qui, enfin, dans cette intrication des unes et de l’autre, suppose une soumission nécessaire des unes avec l’autre. Ainsi,
« Les sociétés politiques se caractérisent en partie par l’existence de groupes secondaires. C’est déjà ce que sentait Montesquieu quand il disait que la forme sociale qui lui paraissait la plus hautement organisée, à savoir la monarchie, qu’elle impliquait : « des pouvoirs intermédiaires, subordonnés et dépendants ». on voit toute l’importance de ces groupes secondaires […]. Ils ne sont pas seulement nécessaires à l’administration des intérêts particuliers, domestiques, professionnels, qu’ils enveloppent et qui sont leur raison d’être, ils sont aussi la condition fondamentale de toute organisation plus élevée. Bien loin qu’ils soient en antagonisme avec ce groupe social qui est chargé de l’autorité souveraine et qu’on appelle plus spécialement l’Etat, celui-ci suppose leur existence : il n’existe que là où ils existent. Point de groupes secondaires, point d’autorité politique, du moins, point d’autorité qui puisse, sans impropriété, être appelée de ce nom. »[7]
Mais encore,
« Ce qui définit le clan  c’est qu’il est une division politique en même temps que familiale, d’un agrégat social plus étendu. Mais dira-ton, dans le principe ? Dans le principe, il est légitime de supposer qu’il existait des sociétés simples ne contenant en elles aucune société plus simple ; la logique et les analogies nous obligent à faire l’hypothèse, que certains faits confirment. Mais en revanche, rien n’autorise à croire que de telles sociétés furent soumises à une autorité quelconque. Et ce qui doit faire rejeter cette supposition comme tout à fait invraisemblable, c’est que plus les clans d’une tribu sont indépendants les uns des autres, plus chacun d’eux tend vers l’autonomie, plus aussi tout ce qui ressemble à une autorité, à un pouvoir gouvernemental quelconque, y fait défaut. Ce sont des masses presque complètement amorphes, dont tous les membres sont sur le même plan. L’organisation des groupes partiels, clans, familles, etc., n’a donc précédé l’organisation de l’agrégat total qui est résulté de leur réunion. D’où il ne faut pas conclure davantage que, inversement, la première est née de la seconde. La vérité est qu’elles sont solidaires, […], et se conditionnent mutuellement. Les parties ne sont pas organisées d’abord pour former un tout qui s’est organisé ensuite à leur image, mais le tout et les parties se sont organisées en même temps. Une autre conséquence de ce qui précède est que les sociétés politiques impliquant l’existence d’une autorité, et cette autorité n’apparaissant que là où les sociétés comprennent en elles une pluralité de sociétés élémentaires, les sociétés politiques sont nécessairement polycellulaires ou polysegmentaires. Ce n’est pas à dire qu’il n’y a jamais eu de sociétés faites d’un seul et unique segment, mais elles constituent une autre espère, elles ne sont pas politiques. »[8]
On comprend bien que, dans cette conception, il n’y a pas d’indépendance, d’extériorité entre les éléments. Tous sont intriqués, impliqués et imbriqués, au point que si l’on peut parler d’identité entre les parties et le tout, elle n’est pas tant du fait de la totalité, qui, on ne sait comment, lui préexisterait, que de chacune de ses parties. Non que celles-ci produisent ce tout à l’image des particularités et de la diversité de la société, mais parce qu’elles ne peuvent s’affirmer dans leur singularité, ne consentir à l’agrégation des singularités que par référence à cette autorité qui les constitue, comme un contrepoids nécessaire à leur existence. Et c’est bien là ce qui justifie le patriotisme qui, loin de disparaître et de se laisser confondre avec un cosmopolitisme qui ne serait qu’une confédération supérieure d’Etats, maintient cet élan de solidarité de tous avec le tout.
« Que chaque Etat se donne pour tâche essentielle, non de s’accroître, d’étendre ses frontières, mais d‘aménager au mieux son autonomie, d’appeler à une vie morale de plus en plus haute le plus grand nombre de ses membres, et toute contradiction disparaît entre la morale nationale et la morale humaine. Que l’Etat n’ait d’autre but que de faire de ses citoyens des hommes, dans le sens complet du mot, et les devoirs civiques ne seront qu’une forme plus particulière des devoirs généraux de l’humanité. Or, nous avons vu que c’est dans ce sens que se fait l’évolution. Plus les sociétés concentrent leurs forces sur le dedans, sur leur vie intérieure, plus aussi elles se détourneront de ces conflits qui mettent aux prises cosmopolitisme et patriotisme ; et elles se concentrent de plus en plus en elles-mêmes à mesure qu’elles deviennent plus vastes et plus complexes. Voilà dans quel sens l’avènement des sociétés plus considérables encore que celles que nous avons sous les yeux sera un progrès de l’avenir.
Ainsi, ce qui résout l’antinomie, c’est que le patriotisme tende à devenir comme une petite partie du cosmopolitisme. Ce qui entraîne le conflit, c’est que trop souvent il est conçu autrement. Il semble que le vrai patriotisme ne se manifeste que dans les formes de l’action collective qui sont orientées vers le dehors ; qu’on ne peut marquer son attachement au groupe patriotique auquel on appartient dans les circonstances qui le mettent aux prises avec quelque groupe différent. Certes, ces crises extérieures sont fécondes en occasions de dévouement éclatant. Mais à côté de ce patriotisme, il en est un autre, plus silencieux, mais dont l’action utile est aussi plus continue, et qui a pour objet l’autonomie intérieure de la société et non son expansion extérieure. Ce patriotisme n’exclut pas, il s’en faut, tout orgueil national ; la personnalité collective, ni les personnalités individuelles, ne peuvent exister sans avoir d’elles-mêmes, de ce qu’elles sont, un certain sentiment, et ce sentiment a toujours quelque chose de personnel. Tant qu’il y aura des Etats, il y aura un amour-propre social, et rien n’est plus légitime. Mais les sociétés peuvent mettre leur amour-propre, non à être les plus grandes ou les plus aisées, mais à être les plus justes, les mieux organisées, à avoir la meilleure constitution morale. Sans doute nous n’en sommes pas encore au temps où ce patriotisme pourra régner sans partage, si tant est qu’un pareil moment puisse jamais arriver. »[9]

Pluralité, distinction, interdépendance : ces trois mots définissent la société politique. On pourrait presque y lire, avant l’heure, une conception de l’espace public telle que la développe Jürgen Habermas. En effet, cet espace public n’est pas plus une institution qu’une organisation, une structure ou un système. En ce sens, « il échappe […] aux concepts traditionnels de l’ordre social. »[10]Admettant des frontières intérieures, « il se caractérise [pour qui le considérerait de l’extérieur] par des horizons ouverts, poreux et mobiles. »[11] En tant que véritable caisse de résonance des problèmes sociaux, il est un lanceur d’alertes qu’il appartient aux institutions (Durkheim pourrait dire aux administrations de l’Etat) de nommer et de régler. Ainsi, « le cœur institutionnel [de la société civile] est désormais formé par ces groupements et ces associations non étatiques et non économiques à base bénévole qui rattachent les structures communicationnelles de l’espace public à la composante « société » du monde vécu. La société civile se compose de ces associations, organisations et mouvements qui à la fois accueillent, condensent et répercutent en les amplifiant dans l’espace public politique, la résonance que les problèmes sociaux trouvent dans la sphère de la vie privée. Le cœur de la société civile est donc constitué par un tissu associatif qui institutionnalise dans le cadre d’espaces publics organisés les discussions qui se proposent de résoudre les problèmes surgis concernant les sujets d’intérêt général. »[12] C’est donc bien mettre en regard l’une de l’autre, la société civile dans son ensemble et les institutions et administrations. Par ailleurs, chez Habermas qui, alors, parlera, à l’instar de Parsons, d’influence et dont il dira qu’elle ne peut se transformer en pouvoir politique « que dans la mesure où elle agit sur les convictions des membres autorisés du système politique, déterminant ainsi le comportement à la fois d’électeurs, de parlementaires, de fonctionnaires »[13], il y a aussi, chez Durkheim, cette idée d’une société comme caisse de résonance et, d’une certaine façon, la même réserve quant à la traduction directe de cette résonance dans les délibérations au sien de l’Etat et décisions de l’exécution par les administrations. L’Etat, nous prévient-il, n’est pas un décalque de la société civile. « Le rôle de l’Etat, en effet, n’est pas d’exprimer, de résumer la pensée irréfléchie de la foule, mais de surajouter à cette pensée irréfléchie, une pensée plus méditée, et qui, par la suite, ne peut pas n’être pas différente. »[14] Toutefois, s’il y a bien des prérogatives propres à l’Etat dans la définition de l’intérêt général (expression qu’il n’emploie pas), de la résolution des conflits, et si, par ailleurs, il est nécessaire que l’Etat ne soit pas asservi aux citoyens, et les uns et l’autre, dans une même dynamique, restent en regard et en contrepoint. « Sans doute, il est nécessaire qu’il [l’Etat] soit informé de ce que pensent les citoyens ; mais ce n’est là qu’un de ses éléments de méditation et de réflexion, et, puisqu’il est constitué pour penser d’une manière spéciale, il doit penser à sa façon. C’est sa raison d’être. De même, il est indispensable que le reste de la société sache ce qu’il fait, ce qu’il pense, le  suive et le juge ; il est nécessaire qu’il y ait entre ces deux parties de l’organisation sociale harmonie aussi complète que possible. Mais cette harmonie n’implique pas que l’Etat soit asservi par les citoyens et réduit à n’être qu’un écho de leurs volontés. »[15] Bien au contraire ! « L’Etat pense pour nous », dira Durkheim.
Il y a donc bien quelque chose de commun et, même si l’expression ne fait pas partie de la pensée durkheimienne, on peut, cependant, envisager une notion de l’espace public comme cet entre-deux (société dans son ensemble et institutions) où circulent et se communiquent des discours. Et, le rôle de la délibération, dans les assemblées constituées tout autant en dehors d’elles (on peut le penser, que cette délibération, ces discussions sont d’autant plus vives et fréquentes dans la société que l’évolution de l’humanité, dans les sociétés qui intéressent Durkheim, dans ses Leçons, se prête à ces échanges de connaissances, de sentiments et d’aspirations, même à l’état diffus et confus). Mais à une différence majeure : la constitution politique et démocratique de la société renvoie au registre de l’immanence quand, chez Habermas, elle renvoie à celui de la régulation par le droit. Nous avons signalé plusieurs fois cette exclusion du Droit. Il est temps d’en approfondir les termes.
Renoncer à la philosophie politique – un individualisme nécessaire.
Si donc l’Etat pense pour nous, la fin essentielle qu’il poursuit n’est pas « de veiller au respect des droits individuels »[16]. Ce qui nous éloigne considérablement de la sphère publique évoquée et développée par Jürgen Habermas, dont la base et, par là, l’essence, renvoient directement aux droits fondamentaux de la modernité[17].
Au cours de ces six leçons, Durkheim s’emploie à révoquer les conceptions courantes de la politique moderne. Pour lui, il s’agit avant tout d’un artifice conceptuel et théorique que la cours même de l’histoire, de l’évolution de l’homme et des sociétés humaines contredit. Occupant la seconde partie de la quatrième leçon, se demandant à quelle fin doit tendre cette pensée de l’Etat, il s’en prend à la théorie individualiste qui se répand, à la suite de Spencer, Rousseau et Kant.
Une telle conception envisage la société comme un agrégat d’individus dont la seule fin serait alors le développement matériel et intellectuel des individus, en développant leur productivité aussi bien matérielle que scientifique et culturelle. Sous cet angle, l’Etat ne produit rien, il est seulement le garant de ce développement personnel, du civisme (de la morale civique) et se contente d’exercer un rôle de prévention des dérives et autres déviances qui sont alors autant des atteintes au contrat et à l’ordre social. C’est accorder à l’Etat une fonction purement négative, d’exercice de justice répressive. Par ailleurs, une telle conception prend appui sur le présupposé de droits attachés essentiellement à la nature de l’homme. Dès lors qu’il y a atteinte à la personnalité morale de l’individu, ces auteurs, ironisera Durkheim, auront tout loisir de dénoncer l’atteinte au droit naturel de l’homme. Enfin, la société n’étant plus que la réplique de ce qui a pu être donné à l’individu, une fois pour toutes, à partir de l’essence postulée de l’homme, ces auteurs se représentent le droit « comme quelque chose d’universel, comme un code qui peut être établi une fois pour toutes et qui vaut pour tous les temps comme pour tous les pays. Et ce caractère négatif qu’ils essaient de donner à ce droit le rend, en apparence, plus facilement déterminable »[18], au point de pouvoir en dresser une liste exhaustive[19].
Pour Durkheim, une telle conception qui artificialise l’universel se trompe sur deux points. Le premier point, qui peut se déduire de l’angle adopté pour la réfutation, considère qu’une telle perspective oublie trop vite l’historicité même des sociétés, leur dynamique propre. Inscrites dans l’histoire, celle-ci n’est pas qu’une linéarité où ce qui est se déduit simplement de ce qui fut, qu’il soit institué, programmé ou tout simplement (et théoriquement) postulé. Une société politique n’est en rien conservatrice : il en est de même pour l’Etat. Il convient donc de faire confiance à l’histoire pour comprendre, telle une « loi de la mécanique morale »[20], que l’évolution même des sociétés et leur développement, des individus et des exigences de savoir et de confort (matériel ou non) qu’ils définissent pour leur existence, et, ainsi, de l’Etat est inéluctablement un dépassement de ce qui fut. « Plus on avance dans l’histoire, plus on voit les fonctions de l’Etat se multiplier en même temps qu’elles deviennent plus importantes, et ce développement des fonctions est rendu sensible matériellement par le développement parallèle de l’organe. […] Il faudrait donc [selon la conception individualiste des droits] considérer ce développement progressif de l’Etat, cette extension ininterrompue de ses attributions, de la partie administration de la justice comme radicalement anormale ; et étant donné la continuité, la régularité de cette extension tout le long de l’histoire, une telle hypothèse est insoutenable. Il faut avoir singulièrement confiance dans la force de sa propre dialectique, pour condamner comme morbides, au nom d’un système particulier, des mouvements d’une telle constance et d’une telle généralité. »[21] Autrement dit, la dialectique théorique et conceptuelle ne vaut pas nécessité et ne rend pas compte de la dynamique des sociétés, de leur historicisation.
Le second point, lui, concerne l’individu lui-même. En définitive, pour Durkheim, la politisation de l’individu[22] ne dérive pas de sa moralité naturelle, mais la moralité individuelle dépend de l’être politique de l’individu. C’est en inversant la position des termes que Durkheim insiste sur l’artifice de la théorie individualiste du droit, mais aussi en réintroduisant l’individu dans la politique. En définitive, les droits attachés à l’individu ne sont pas une conséquence de sa nature. Une telle perspective est, en elle-même, contradictoire et, même antagonique. Car comment lever alors le conflit qui ne peut qu’exister entre un Etat qui développe de plus en plus ses attributions et ses compétences, se propageant jusque dans les sphères de la vie privée et intime, et un individu qui, par ses demandes, développe de plus en plus d’exigences, d’esprit critique et de libertés vis-à-vis de ce qui s’offre à lui comme autant de contraintes qu’il ne peut plus souffrir ? Un tel conflit ne peut subsister que parce que l’un et l’autre sont comme deux entités extérieures et comme étrangère l’une à l’autre. « Si, comme on le suppose, les droits de l’individu sont donnés avec l’individu, l’Etat n’a pas à intervenir pour les constituer ; ils ne dépendent pas de lui. Mais alors s’ils en dépendent aps de lui, s’ils sont en dehors de sa compétence, comment le cadre de cette compétence peut-il s’étendre sans cesse, alors que d’un autre côté il doit comprendre de moins en moins de choses étrangères à l’individu ? »[23]
Une seule solution, affirmera Durkheim. Il faut abandonner « le postulat d’après lequel les droits de l’individu sont donnés avec l’individu. »[24] En fait, les droits individuels et le développement de l’Etat sont co-originiaires, et même consubstantiels. S’appuyant sur l’exemple de Rome, en quoi il voit une organisation politique plus complexe qu’à Athènes, il souligne combien alors la force et la puissance de l’Etat romain rejaillissait sur celle des individus. Pour notre auteur, c’est un indice suffisant pour affirmer que les droits individuels ne sont pas des abstractions vides, venues d’une nature supérieure ou transcendante (divine ou tout simplement idéelle et principielle), mais bien des productions de l’Etat.
« Ainsi, l’histoire semble bien prouver que l’Etat n’a pas été créé, et n’a pas simplement pour rôle d’empêcher que l’individu ne soit troublé dans l’exercice de ses droits naturels, mais que ces droits, c’est l’Etat qui les crée, les organise, en fait des réalités. Et, en effet, l’homme n’est un homme que parce qu’il vit en société. Retirez de l’homme tout ce qui est d’origine sociale, et il ne reste plus qu’un animal analogue aux autres animaux. C’est la société qui l’a élevé à ce point au-dessus de sa nature physique, et elle a atteint ce résultat parce que l’association, en groupant les forces psychiques individuelles, les intensifie, les porte à un degré d’énergie et de productivité infiniment supérieur à celui qu’elles pourraient atteindre si elles restaient isolées les unes des autres. Ainsi se dégage une vie psychique d’un nouveau genre, infiniment plus riche, plus variée que celle dont l’individu solitaire pourrait être le théâtre, et la vie ainsi dégagée, en pénétrant l’individu qui y participe, le transforme. Mais, d’un autre côté, en même temps que la société alimente et enrichit ainsi la nature individuelle, elle tend inévitablement à se l’assujettir, et cela pour la même raison. »[25]
Que l’Etat crée des droits, nul ne s’en étonne. Mais il ne crée pas des droits, parce qu’il a le droit comme fin et comme ambition. Nous l’avons déjà dit auparavant, l’affaire essentielle de l’Etat n’est pas la préservation des droits attachés à l’individu. La raison est anthropologique, pratique : ce n’est qu’en regard de l’Etat, de cet organe éminent de toute société développée, comme cela pourrait l’être, dans une société moins complexe, en regard du Tout auxquels les clans et familles s’agrègent, que la singularité individuelle peut s’affirmer et, même, se développer. La liberté des individus s’inscrit dans un contexte où, paradoxalement, la structuration de la société est d’autant plus complexe, sophistiquée, supposant des strates, des niveaux et des ordres qui, chacun, pourtant différenciés, restent pénétrés des affaires de l’Etat et de la pensée même de l’Etat. En somme, c’est l’autorité qui me fait être, tout autant qu’elle m’assujettit. On croirait ici lire la scène d’interpellation althusserienne ! Et pour Durkheim, il n’y a pas d’antagonisme entre l’un et l’autre : tout juste une continuité, par laquelle, l’individu veut le groupe, le collectif, l’autorité politique de l’Etat (et pas simplement une autorité répressive, comme dans l’administration de la justice des théories précédentes), et, en retour, cette autorité politique ne peut s’affirmer que parce qu’elle a comme contrepoids l’existence individuelle. En somme, face au despotisme de l’Etat, aux injonctions des administrations chargées d’exécuter les décisions, répondent nécessairement, inévitablement et corrélativement celles de l’individu[26].
Plutôt donc qu’une théorie individualiste des droits, Durkheim entend développer une perspective individualiste de la politique. Et c’est justement parce qu’il n’y a pas d’antinomie entre l’Etat et l’individu que cet axe peut être suggérer. Encore faut-il s’entendre, non pas tant sur la définition qu’il donne à cet individualisme[27], que sur la manière dont il conçoit la société politique.
Nous l’avons dit plus haut, elle est nécessairement plurielle, constituée de groupes distincts, soumis à une même autorité[28]. Nous l’avons dit : la société politique est un agrégat. Mais nous devons tout de suite préciser qu’il ne s’agit nullement d’un agrégat d’individus. L’individu n’est pas tant une monade, qui, indépendante ou du Tout ou de groupes quelconques, serait suffisamment puissant pour défier l’autorité de l’Etat sans que celui-ci, en retour, ne le remette sur le droit chemin. Durkheim entend bien que l’une des dérives de l’individualisme serait le développement de particularisme, rendant l’entente impossible, en tout cas difficile à négocier. Cette dérive est même inévitable quand, dans une société complexe, se développent des intérêts si particuliers, qu’ils ne concernent plus qu’un groupe, une corporation[29]. Seulement, ce qu’il nous faut voir, c’est que dans une telle logique, ce n’est plus la liberté individuelle, le libre cours des aspirations individuelles qui se manifestent, mais bien avant tout l’intérêt du groupe, de la communauté d’intérêt ainsi formée. Or cet intérêt, plutôt que d’être développé à l’échelle individuelle, est d’abord et avant tout tourné et orienté vers la lutte défensive de l’affirmation du groupe. On ne fait que reproduire la logique de la société domestique, clanique, qui, par absorption de ses membres et par dissolution de ce qui les distingue et les singularise, ne leur laisse aucune autre marge de manœuvre que de s’opposer à ce qui n’est pas elle, à ce qui est hors d’elle et tout à fait étranger. Si l’on peut penser une liberté individuelle, ce n’est pas là, dans cette logique qu’elle se trouve.
Nous l’avons dit auparavant : l’Etat, selon Durkheim, n’a rien d’une nature transcendante, surhumaine et étrangère à l’individu. C’est d’ailleurs ce qui l’amène à révoquer une seconde position philosophique qui, si elle peut avoir le mérite d’inscrire la société dans un devenir, n’en néglige pas moins la question et la place de l’individu dans l’organisation politique de la société. Cette position, Durkheim la définit de mystique, renvoyant directement à Hegel mais aussi à des périodes de l’histoire humaine où religion et Etat se confondaient. Selon cette nouvelle optique, chaque société manifesterait une fin supérieure à toutes les fins particulières que poursuivraient les individus. Or, l’individu ne serait plus ici qu’un jouet, instrument de l’Etat, tout entier préoccupé par l’affirmation de sa puissance. Docile, il devrait pouvoir faire abstraction de son intérêt personnel, faire comme si rien ne comptait plus pour lui que l’Etat auquel il se soumettrait. Si, dans le passé de l’Europe, comme dans des contextes plus traditionnels, une telle docilité est concevable, « plus on avance dans l’histoire, et plus on voit les choses changer. »[30] Et le sens de l’histoire, nous dira-t-il, n’est pas dans le plus grand asservissement des hommes à une puissance et des intérêts qui ne sont pas leurs. Ce sens de l’histoire est tout à la fois dans l’individu et dans l’Etat, au point que l’un et l’autre n’existent que l’un par l’autre. Dans l’individu, parce que celui-ci est devenu « un foyer autonome d’activité, un système imposant de forces personnelles dont l’énergie ne peut pas plus être détruite que celle des forces cosmiques. »[31] Or ce « foyer autonome » ne peut compter que sur ses propres intérêts : il ne réalise pas un ordre des choses qui ne l’intéresserait pas directement et concrètement. Même le plus despotique des régimes politiques, même le plus religieux des systèmes ne pourra tout à fait négliger cette tendance individuelle à une plus grande liberté, à plus de critiques et, les moyens techniques aidant, à plus de discussions, de contestation. Par ailleurs, une fois que l’individu a goûté à cette autonomie, y renoncer de quelque manière que ce soit et revenir en arrière est tout à fait impossible (du moins est tout à fait impensable, quand bien même les instruments de pouvoir et de censure rendraient cette régression possible). Il y a donc là, quelque chose d’irréversible, dans l’ordre de la politisation des sociétés humaines.  Et dans l’Etat : car si accroître sa puissance, vis-à-vis de l’extérieur, ne put passer que par la soumission des individus à un intérêt (patriotique) qui leur était étranger ; si la guerre avec d’autres Etats est, dans l’ordre du possible, une véritable régression de l’histoire de l’humanité ; si, enfin, vis-à-vis de la société dite civile, tout est fait pour réprouver ou neutraliser les sursauts particularistes de groupes d’intérêts divergents, il n’en demeure pas moins que l’Etat, dans son évolution a intérêt à « libérer les personnalités individuelles »[32]. En effet, aussi bien contre ces tentatives particularistes que par rapport à ces perspectives géostratégiques, qui le détourneraient de sa fonction essentielle,
« il faut que l’individu puisse se mouvoir avec une certaine liberté sur une vaste étendue ; il faut qu’il ne soit pas retenu et accaparé par des groupes secondaires, il faut que ceux-ci ne puissent pas se rendre maîtres de leurs membres et les façonner à leur gré. Il faut donc qu’il y ait au-dessus de tous ces pouvoir locaux, familiers, en un mot secondaires, un pouvoir général qui fasse la loi à tous, qui rappelle à chacun d’eux qu’il est, non pas le tout, mais la partie du tout, et qu’il ne doit pas retenir pour soi ce qui, en principe, appartient au tout. Le seul moyen de prévenir ce particularisme collectif et les conséquences qu’il implique pour l’individu, c’est qu’un organe spécial ait pour charge de représenter auprès de ces collectivités particulières la collectivité totale, ses droits et ses intérêts. Et ces droits et ces intérêts se confondent avec ceux de l’individu. »[33]
Autrement dit, l’Etat a intérêt au développement social, culturel des individus, comme l’individu a intérêt à ce qu’une entité « organique » comme l’Etat lui garantisse ce développement. A s’entendre ainsi, il n’y a pas une réciprocité, comme un échange de bons procédés. Dans cette vision que nous avons qualifiée « organiciste », il est clair que ce n’est pas tant les Droits attachés à l’individu qui importent, que le co-développement des « organes » qui constituent la société humaine. Hors de cela, il n’y a point d’espace public possible.
Mais il n’y a pas non plus de réciprocité totale, parfaite et absolue. Et si l’idée d’un espace public et politique se nourrit d’abord et avant tout de celle d’un dissensus, d’un écart entre les intérêts individuels et ceux de l’Etat, dans l’exercice de ses fonctions, Durkheim n’en élimine pas la possibilité. Bien au contraire ! Cet écart est même inscrit dans les « génomes » de l’Etat comme des individus, malgré toutes les infiltrations, dans la sphère privée, des représentations de l’Etat. Nous parlons d’écart ; Durkheim évoque, lui, ces individualités qui lui échappent. Mais c’est un mal nécessaire, dirons-nous, pour un bien évident.
« La force collective qu’est l’Etat, pour être libératrice de l’individu, a besoin elle-même de contrepoids ; elle doit être contenue par d’autres forces collectives, à savoir par ces groupes secondaires […]. S’il n’est pas bien qu’ils soient seuls, il faut qu’ils soient. Et c’est de ce conflit de forces sociales que naissent les libertés individuelles. On voit ainsi encore de cette manière quelle est l’importance de ces groupes. Ils ne servent pas seulement à régler et à administrer les intérêts qui sont de leur compétence. Ils ont un rôle plus général ; ils sont une des conditions indispensables de l’émancipation individuelle. »[34]
La conflictualité et la divergence sont donc inhérentes à la constitution d’une société politique, définie par la pluralité tout autant que par l’exercice d’une autorité suprême qui ne manifeste d’autres ambitions que de maintenir la cohésion de l’ensemble. Pour autant, il ne s’agit pas de faire de cette autorité (et donc de l’Etat) un pur et simple arbitre des dissensions. D’une certaine manière, si elles existent, ce n’est pas pour être épuisées par l’énoncé de telle ou telle sentence. Elles existent… et elles ne peuvent qu’exister : l’Etat (mais il serait plutôt pertinent, maintenant, de parler de démocratie) n’a pas pour fonction de faire la synthèse, de trouver ce qui est le plus juste en la matière. Elles existent… et il faut entendre leur manifestation contestataire comme une puissance affirmative de quelque chose à venir, même si, on peut douter que ce soit dans les rangs mêmes et les slogans des contestataires que se trouve la formulation précise et explicite de ce « quelque chose ».
Si la conflictualité est donc bien une nécessité, si elle est inévitable d’un point de vue historique et nécessaire du point de vue de l’institution continue des droits individuels[35], elle ne se résout pas par la traduction littérale qu’en ferait l’Etat ou ses intermédiaires (les administrations de l’Etat). La conflictualité, ainsi que l’envisage Durkheim, n’est pas un antagonisme rendant individus et Etat étrangers les uns à l’autre. Mais ce refus de l’antagonisme ne signifie pas non plus qu’il y ait une volonté d’uniformiser les intérêts en un intérêt commun. S’il affirme et maintient cette nécessité du conflit, cela s’explique surtout par une conception de la démocratie qui ne peut pas être représentative.
La conception moderne de la démocratie repose sur l’identité entre gouvernants et gouvernés. C’est-à-dire encore : la démocratie serait ce régime par lequel la société se gouvernerait elle-même. Un telle perspective reviendrait, pour Durkheim, a) à définir une démocratie qui exclurait la  minorité de la société civile (et donc, par là, à ne produire qu’une aristocratie démocratique qui, au gré des plébiscites et des alternances politiques, se renouvelle, sans vraiment être radicalement démocratique) ; b) à vouloir que l’Etat il se limiterait à exprimer la volonté de « la masse des individus et toute l’organisation gouvernementale n’aurait d’autre objet que de traduire le plus fidèlement possible, sans y rien ajouter, sans y rien modifier, les sentiments épars dans la collectivité »[36] Le mandat de l’élu du peuple ne serait alors qu’un mandat impératif, qui, collant à la réalité du terrain et des aspirations de la masse, les ferait siennes au point de n’être plus que le porte-parole non de la collectivité dans son ensemble, mais d’un groupe d’intérêts particuliers. Il lui serait ainsi asservi, puisqu’il en serait le client, et ce qui vaudrait alors pour le mandat de l’élu vaudrait aussi pour l’Etat dont on exigerait la plus grande proximité avec les intérêts privés…
« Or rien n’est plus contraire, à certains égard, à la notion même de démocratie. Car la démocratie suppose un Etat, un organe gouvernemental, distinct du reste de la société, quoique étroitement en rapport avec elle, et cette manière de voir est la négation même de tout Etat, au sens propre du mot, parce qu’elle résorbe l’Etat dans la nation. Si l’Etat ne fait que recevoir les idées et les volitions particulières, afin de savoir quelles sont celles qui sont les plus répandues, qui ont, comme on dit, la majorité, il n’apporte aucune contribution vraiment personne [ sic ?] à la vie sociale. Ce n’est qu’un décalquage de ce qui se passe vraiment dans les régions sous-jacentes. Or, c’est ce qui est contradictoire avec la définition même de l’Etat. Le rôle de l’Etat, en effet, n’est pas d’exprimer, de résumer la pensée irréfléchie de la foule, mais de surajouter à cette pensée irréfléchie une pensée plus méditée, et qui, par suite, ne peut pas n’être pas différente. C’est, et ce doit être, un foyer de représentations neuves, originales, qui doivent mettre la société en état de se conduire avec plus d’intelligence que quand elle est mue simplement par les sentiments obscurs qui la travaillent. […] Le devoir du gouvernement est de se servir de tous ces moyens [ à la fois ces sentiments obscurs de la foule, mais toutes les enquêtes de ses administrations et autres procédures d’élaboration de la décision politique], non pas simplement pour dégager ce que pense la société, mais pour découvrir ce qu’il ya de plus utile pour la société. »[37]
Il est intéressant de signaler, d’une part, que l’Etat n’est pas la nation (ou encore : que l’élément national, tout autant que l’élément territorial, ne définit pas l’Etat), et, d’autre part, qu’il s’agit bel et bien de maintenir cet écart, dette distinction entre la parole venue de la masse de la société et celle manifestée et énoncée par l’Etat. Cette différence n’est pas suffisante pour renoncer à toute démocratisation de la société politique. Elle y est plutôt nécessaire. L’Etat n’est pas le miroir de la société, il ne lui correspond pas comme une image, et si, tout à la fois, il n’y a pas d’individualité sans Etat, et pas d’Etat sans différences et pluralités, c’est que la démocratie n’est pas le gouvernement de la masse par elle-même. La « révolte des masses » n’est pas pressentie comme un indice de démocratie. « Si tout le monde gouverne, c’est qu’en réalité, il n’y a pas alors de gouvernement. »[38] Par ailleurs, puisqu’il n’est pas plus question d’identité entre les gouvernants et les gouvernés que de représentation majoritaire de la société de la masse des individus, il faut approcher la démocratie autrement que par le suffrage et, paradoxalement, à partir de la question de la domination.
Cela peut, en effet, paraître contradictoire puisque, l’impression qui demeure, dans cette perspective d’un Etat qui pense pour moi/nous, c’est qu’il sache mieux que n’importe qui ce qui est bon pour tous. Or, l’autonomie individuelle, comme celle de la société dans son ensemble, n’est pas un hors-cadre. C’est à l’Etat, d’une certaine manière, de nous rappeler, indépendamment de toute injonction, quel est notre rôle, notre position et par rapport à nos contemporains et par rapport à la collectivité. Parce que c’est dans ce cadre même et à partir de lui que les uns et les autres évoluent, progressent, conquièrent de nouveaux horizons de droits, de nouvelles libertés[39]. Nous ne pouvons pas nous en désolidariser. Mais, en retour, même si la question de l’exclusion n’est pas abordée (ou est escamotée), il ne semble pas qu’il y ait, dans l’espace social et public, d’étranger qui n’ait intérêt à cet espace. La démocratie n’est pas alors la loi du nombre : elle est plutôt et avant tout un éthos.
« Louis XIV pouvait bien lancer des lettres de cachet contre qui il voulait, mais il était sans force pour modifier le droit régnant, les coutumes établies, les croyances reçues. Que pouvait-il contre l’organisation religieuse et les privilèges de toute sorte qu’entraînait avec elle cette organisation qui se trouvait par là même soustraite à l’action gouvernementale ? »[40] Hors des instances gouvernementales, administratives, la société vit sa vie propre et si tant est que le prince ou le tyran ait la velléité de contrôler tout son monde, il n‘aura prise que sur les individus, comme déliés de la collectivité, mais pas sur la société elle-même. C’est dire combien le pouvoir, tout absolu soit-il, est faible et limité. C’est dire aussi combien le sort même de la société qu’il gouverne ne le préoccupe guère. A se dérober au contrôle et contre-pouvoir de la masse de la société, le pouvoir gouvernemental est alors plus préoccupé de relations extérieures que du développement propre de la société. Mais, le fait de l’histoire est très certainement qu’il ne peut s’y dérober longtemps et que la société, malgré l’exercice autoritaire du pouvoir, peut encore, trouver en elle-même, dans la conscience qu’elle peut, tout épisodiquement, avoir d’elle-même se retourner et demander des comptes[41].
Si, au contraire, il y a démocratie, alors la définition de celle-ci doit subir la même opération de retournement des préjugés qui ont alimenté la modernité politique. Et l’on trouve chez Durkheim deux éléments de définition de la démocratie, de la démocratisation de la société. Le premier renvoie à la qualité de la relation entretenue entre les organes mêmes du gouvernement et le reste de la société. Cette qualité est d’abord et avant tout communicationnelle : dans cette solidarité entre les parties et le tout, rien ne peut échapper aux uns et aux autres, même si chacun reste lui-même, distinct de tous les autres (et les individus entre eux, et l’Etat par rapport aux individus). La communication est, ici, tout à la fois celle qu’une force ou un agent « communique » à un autre ou un ensemble : il le lui transmet par le simple fait de leur proximité ou de leur commune appartenance au groupe. Et c’est aussi la communication discursive : il suffit de noter les occurrences des termes de « délibérations », « discussions », pour s’en convaincre. Mais, ainsi que nous l’avons souligné plus haut, ce n’est pas une simple traduction par le haut, de ce qui se communique en bas. Ce sera notre seconde remarque : cette communication qui se nourrit du commerce que les individus ont entre eux, de ce regard qu’ils portent sur les actions gouvernementales et de l’attention dont l’Etat les entoure, est d’abord et avant tout productrice d’une conscience de soi de la société, qui ne peut que servir la conscience de soi de chacun des ses membres. « De ce point de vue, la démocratie nous apparaît donc comme la forme politique par laquelle la société arrive à la plus pure conscience d’elle-même. Un peuple est d’autant plus démocratique que la délibération, que la réflexion, que l’esprit critique jouent un rôle plus considérable dans la marche des affaires publiques. Il l’est d’autant moins que l’inconscience, les habitudes inavouées, les sentiments obscurs, les préjugés en un mot soustraits à l’examen, y sont au contraire prépondérants. »[42]Cette conscience de soi et collective définit une sorte de « vie psychique » de la démocratie. Il n’y est nullement question d’institution, de pouvoir constituant, d’une volonté politique constitutive. C’est à la société elle-même, dans la société même, dans ce qui s’y diffuse, que se trouve, hors tout décret, la condition de possibilité de la démocratie. Pour autant, il nous faut tout aussitôt rappeler que ce n’est pas de la société même que se définissent les lois. Ce n’est pas d’elle qu’elles émergent. Dans cette psychologie politique et sociale, Durkheim, en corrigeant l’idée de l’identité entre gouvernants et gouvernés, prévient que la démocratie directe ne convient vraiment qu’à la société tribale. Pour ce qui concerne les sociétés plus évoluées et complexes, faire de la représentation politique la condition même de la démocratisation de la société, on érige en principe la fait qu’une minorité gouverne qui ne se distingue de celle, aristocratique, que par le fait que cette dernière est posée une fois pour toutes quand celle, démocratique, subit les alternances du suffrage. Autrement dit, entre ces deux formes politiques, il n’y a pas de différence de nature. A peine une différence de degré ! Mais, si l’on se place au niveau de l’exercice du pouvoir, la différence est la suivante : quand le gouvernement aristocratique reste replié sur lui-même et s’écarte de la masse collective pour préserver les intérêts propres de la classe dirigeante, la gouvernement démocratique s’il inscrit une séparation avec la masse collective, cette séparation n’est pas tant une distance qu’une interface nécessaire à la définition et l’élaboration de ce qui est l’intérêt commun. Et, d’une certaine manière, c’est cette interface même qui réalise véritablement la démocratie.
« Il ne faut donc pas dire que la démocratie est la forme politique d’une société qui se gouverne elle-même, où le gouvernement est répandu dans le milieu de la nation. Une pareille définition est contradictoire dans les termes. C’est presque dire que la démocratie est une société politique sans Etat. En effet, l’Etat ou n’est rien ou est un organe distinct du reste de la société. Si l’Etat est partout, il n’est nulle part. il résulte d’une concentration qui détache de la masse collective un groupe d’individus déterminé, où la pensée sociale est soumise à une élaboration d’un genre particulier et arrive à un degré exceptionnel de clarté. Si cette concentration n’existe pas, si la pensée sociale reste entièrement diffuse, elle reste obscure, et le trait distinctif des sociétés politiques disparaît. […] Si tout le monde gouverne, c’est qu’en réalité, il n’y a pas alors de gouvernement. Ce sont des sentiments collectifs diffus, vagues et obscurs qui mènent les populations. »[43]
Un tel propos n’est pas sans évoquer une « crainte des masses », idée sur laquelle nous reviendrons. Mais notons d’emblée combien, dans ce refus de la démocratie directe, l’Etat n’est pas là comme une institution extérieure à la masse : il en est de l’Etat démocratique vis-à-vis de la masse collective comme de l’inconscience individuelle par rapport à sa conscience claire. D’abord, en effet, il y a quelque chose de désacralisé dans la conception durkheimienne de l’Etat, tout à fait séparé du commun[44]. Cette désacralisation, si elle est l’effet de la communication, c’est-à-dire d’une parole plus éclairée, diffuse dans l’espace public, interdit de penser l’Etat comme l’Autre de la démocratie. Il y a, nous prévient Durkheim, un entre-deux nécessaire : le rôle de l’administration et de toutes les institutions[45] qui, par leur exercice même, ne reflètent pas les données immédiates de la conscience (« inconsciente ») de la masse mais travaille ce qui, diffusé dans les strates de la société, à offrir une formulation des revendications sociétales. Or, le propre de la représentation politique n’est pas tant dans l’identité gouvernants/gouvernés que dans la définition de ce qui, à l’état « subconscient » dans la société, peut trouver une expression et une élaboration plus légitimes, recourant à la représentation nationale non pas à une classe dirigeante (celle-ci subit les alternances produites par les élections, d’autant plus vitales que la communication et que le regard de l’homme de la rue sont devenus des contrepoids incontournables), mais à une instance de  remédiation de la conscience inconsciente. L’essentiel reste que la vie politique déborde la vie même et l’expression des seules institutions.
Bien moins qu’une démocratie plébiscitaire et de suffrage, fort peu une idéalisation de ce que doit être l’état du monde et l’Etat, et encore moins un programme prédéfini, une fois pour toute et pour tous, la démocratie est essentiellement un éthos qui convient à cette vision organiciste de la société humaine. On remarquera, enfin, que ce n’est pas tant le pouvoir pour lui-même qui détermine la politisation de la société qu’une modalité de mise en œuvre de la communauté des individus. Toutefois, on ne peut pas ne pas signaler une sorte d’idéalisation de ce spontanéisme de la société politique. Il y a chez Durkheim une sorte de devenir-démocrate évident et immanquable qui ne laisse de surprendre. D’autant que, sans l’être vraiment dit, mais fortement suggéré, l’idée de révolution est, selon lui, un pur non-sens. « Nous posons en principe, écrira-t-il, que tout peut être perpétuellement en question, que tout peut être examiné, et que pour les résolutions à prendre, nous ne sommes pas liés au passé. En réalité, l’Etat a une bien plus grande sphère d’influence actuellement qu’autrefois, parce que la sphère de la conscience claire s’est élargie. […] Voilà un autre trait des sociétés démocratiques. C’est qu’elles sont plus malléables, plus flexibles et elles doivent ce privilège à ce que la conscience gouvernementale s’est étendue de manière à comprendre de plus en plus d’objets. »[46] Nous n’y lisons pas ici une vertu de la transparence, bien plutôt une tendance co-constitutive de la démocratie. Être lié au passé, selon l’auteur, c’est vouloir reproduire et préserver ce qui a toujours été. Telle n’est pas l’ambition de la démocratie et celle-ci doit sortir de la mythologie, du récit inaugurateur que fut 1789. En somme, si la Révolution fait date dans les annales de l’histoire, elle n’est pas le moment de la démocratisation du social. Habermas ne renierait pas ce développement communicationnel. Mais il ne souscrirait pas à ce déni de rupture.







[1] Leçons de sociologie, éd. PUF/ Quadrige, 2003, p.87
[2] Ibidem, pp. 82-83. Je souligne.
[3] Ibidem, pp.120-121.
[4] Il n’est pas inutile de rappeler ce que Hannah Arendt, dans Qu’est-ce que la politique ?, qui renvoie, sans le mentionner, aux considérations durkheimiennes : « La politique repose sur un fait : la pluralité humaine. […] La politique traite de la communauté et de la réciprocité d’êtres différents. Les hommes, dans un chaos absolu ou bien à partir d’un chaos absolu de différences, s’organisent selon des communautés essentielles et déterminées. Tant que l’on édifie des corps politiques sur la structure familiale et qu’on les comprend à l’image de la famille, les degrés de parenté valent comme ce qui d’un côté peut relier les êtres les plus différents et, d’un autre côté, comme ce par quoi des formations semblables par les individus peuvent se séparer les unes des autres et les unes par rapport aux autres.
Dans cette forme d’organisation, la diversité originelle est d’autant plus efficacement anéantie que l’égalité essentielle de tous les hommes est détruite dès lors qu’il s’agit de l’homme. Dans les deux cas, la ruine de la politique résulte du fait que les corps politiques se développent à partir de la famille. Ici se trouve déjà sous-entendu ce qui va devenir un symbole dans l’image de la Sainte Famille, à savoir l’opinion selon laquelle Dieu n’a pas tant créé l’homme qu’il a créé la famille.
Dans la mesure où l’on reconnaît dans la famille plus que la participation, j’entends la participation active à la pluralité, on commence par jouer le rôle de Dieu, c’est-à-dire à faire comme si l’on pouvait naturaliter sortir du principe de la diversité. Au lieu de créer un homme, on tente de créer l’homme à sa propre image.
Mais en termes pratico-politiques, cela signifie que la famille acquiert la signification bien ancrée qui est la sienne uniquement du fait que le monde est ainsi organisé qu’elle ne fait pas sa place à l’individu, c’est-à-dire à celui qui est absolument différent. Les familles sont fondées à l’image de refuges, de solides châteaux forts, dans un monde inhospitalier et étranger dans lequel dominent les affinités fondées sur la parenté. Ce désir d’affinité conduit à la perversion principielle du politique parce qu’il supprime la qualité fondamentale de la pluralité ou plutôt parce qu’il la perd en introduisant le concept d’alliance.
L’homme, tel que l’entendent la philosophie et la théologie, n’existe – ou ne se réalisera – dans la politique que s’il bénéficie des mêmes droits qui sont garantis aux individus les plus différents. Dans cette garantie librement consentie et dans la satisfaction d’une même exigence juridique, on reconnaît que la pluralité des hommes – pluralité qu’ils ne doivent qu’à eux-mêmes – doit son existence à la création de l’homme. » (pp.40-41)
[5] Emile Durkheim, op.citée, pp. 81-82.
[6] Ibidem, pp.126-127. Je souligne.
[7] Ibidem, p. 82. Je souligne.
[8] Ibidem, p.83.
[9] Ibidem, pp. 108-109. Je souligne.
[10] Jürgen Habermas, « Le rôle de la société civile et de l’espace public politique », in Droit et démocratie, p.387.
[11] Idem.
[12] Ibidem, p.394.
[13] Ibidem, p. 390. Il rajoutera, juste après, que « tout comme le pouvoir social, l’influence ne peut être transformés en pouvoir politique qu’au moyen de procédures institutionnalisées » (p.390)
[14] Emile Durkheim, op.citée, p. 125
[15] Ibidem, p.126
[16] Ibidem, p. 90
[17] Ainsi, « le fait que cette sphère soit basée sur des droits fondamentaux nous donne une première idée de sa structure sociale. » Habermas, « Le rôle de la société civile et de l’espace politique public », p. 395
[18] Durkheim, op. citée, p. 101.
[19] Ibidem : « On peut en dresser la liste exhaustive, définitive ; sans doute des omissions peuvent être commises, mais par elle-même, leur liste en saurait rien avoir d’indéfini ; elle doit pouvoir être établie d’une manière complète si l’on procède avec une méthode suffisante. » C’est bien ce que Habermas s’emploie à établir, quand évoquant la base des droits fondamentaux de cette sphère publique, il en établit la liste (op. citée, p. 395)
[20] L’expression est de Durkheim lui-même.
[21] Durkheim, op.0 citée, pp. 89-90.
[22] Je rappelle, dans ce cadre, la définition de la politique que donne Durkheim étudiée plus haut.
[23] Ibidem, p. 93.
[24] Ibidem.
[25] Ibidem, pp. 95-96. Je souligne.
[26] « Du moment que l’individu a été élevé par la collectivité de cette manière, il veut naturellement ce qu’elle veut, et accepte sans peine l’état de sujétion auquel il se trouve réduit. Pour qu’il en ait conscience et y résiste, il faut que des aspirations individualistes se soient fait jour, et elles ne peuvent se faire jour dans ces conditions. » p.96
[27] « L’individualisme n’est pas une théorie ; il est de l’ordre de la pratique, non de l’ordre spéculatif » p.95
[28] Cf supra, note 5.
[29] « Or la formation de groupes secondaires de ce genre est inévitable ; car dans une vaste société, il y a toujours des intérêts particuliers locaux, professionnels, qui tendent naturellement à rapprocher les gens qui les concernent. Il y a là matière à des associations particulières, corporations, coteries de toutes sortes, et si aucun contrepoids ne neutralise leur action, chacune d’elles tendra à absorber en elle ses membres. » (p.97)
[30] Ibidem, p.92.
[31] Ibidem, p. 93. Il continuera en insistant sur le fait qu’ « il n’est pas plus possible de transformer à ce point notre atmosphère physique au sein de laquelle nous respirons. »
[32] Ibidem, p. 98
[33] Ibidem, pp. 97-98.
[34] Ibidem, pp. 98-99.
[35] Si, comme nous l’avons souligné, Durkheim renonce à définir la modernité politique comme essentiellement déterminée par l’institution d’un Droit positif qui serait le décalque d’un Droit naturel propre à l’homme (à son essence), il ne renonce pas pour autant à définir la politisation des sociétés humaines par la conquête, toujours actuelle voire inachevée parce que ouverte, de droits. « Les droits individuels sont donc en évolution ; ils progressent sans cesse, et il n’est pas possible de leur assigner un terme qu’ils ne doivent pas franchir. Ce qui hier ne paraissait n’être qu’une sorte de luxe, deviendra demain de droit strict. La tâche qui incombe ainsi à l’Etat est donc illimitée. Il ne s’agit pas simplement pour lui de réaliser un idéal défini, qui devra être, un jour ou l’autre, atteint et définitivement. » (p. 103)
[36] Ibidem, p. 125.
[37] Ibidem, p. 126.
[38] Ibidem, p. 116.
[39] Comme ici, par exemple : il n’y a « rien d’exagéré à dire que notre individualité morale, loin d’être antagoniste de l’Etat, en était au contraire un produit. C’est lui qui la libère. Et cette libération progressive ne consiste pas simplement à tenir à distance des individus les forces contraires qui tendent à l’absorber, mais à aménager le milieu dans lequel se meut l’individu pour qu’il puisse s’y développer librement. Le rôle de l’Etat n’ a rien de négatif. Il tend à assurer l’individualité la plus complète que permette l’état social. Bien loin qu’il soit le tyran de l’individu, c’est lui qui rachète l’individu de la société. Mais en même temps que cette fin est essentiellement positive, elle n’a rien de transcendant pour les consciences individuelles. Car c’est une fin humaine. » (p. 103)
[40] Ibidem, p. 121.
[41] « Ce n’est donc pas depuis quarante ou cinquante ans que la démocratie coule à pleins bords ; la montée en est continue depuis le commencement de l’histoire. » (p. 123
[42] Ibidem, p. 123.
[43] Ibidem, pp. 115-116.
[44] « C’est que l’Etat a cessé de plus en plus d’être ce qu’il était pour longtemps, une sorte d’être mystérieux sur lequel le vulgaire n’osait pas lever les yeux et qu’il ne se représentait même le plus souvent que sous la forme de symbole religieux.» Ibidem, p.115.
[45] Durkheim parlera, à cet égard, de « sphères spéciales » (p. 114)
[46] Ibidem, p. 117. Je souligne.

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