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dimanche 12 juin 2016

« De nos frères blessés », Joseph Andras

Roman de Joseph Andras, éditions Acte Sud, 2016.

Bien plus qu’une réhabilitation de Fernand Iveton, ce roman rend compte de ce qui nous reste encore occulté au sujet de la guerre d’Algérie. De Les damnés de la terre à De nos frères blessés, il y a comme une parenté qui explique aussi ce passé tu, cette chape de plomb qui recouvre tout récit s’y rapportant. Comme si la décolonisation n’était pas encore, loin de là, achevée. Mais en même temps, et c’est l’espoir qui est à l’œuvre dans le propos de Fanon, elle est déjà, d’emblée, réussie/réussite. Car c’est l’homme qui, au travers du processus de décolonisation, surgit, fut-il, longtemps après ladite (officielle) indépendance, renvoyé, par une sorte de remords et de non-dit collectif (notamment sur la guerre d’Algérie), à sa situation de colonisé.
« La décolonisation, on le sait, est un processus historique : c’est-à-dire qu’elle ne peut être comprise, qu’elle ne trouve son intelligibilité, ne devient translucide à elle-même que dans l’exacte mesure où l’on discerne le mouvement historicisant qui lui donne forme et contenu. La décolonisation est la rencontre de deux forces congénitalement antagonistes qui tirent précisément leur originalité de cette sorte de substantification que secrète et qu’alimente la situation coloniale. Leur première confrontation s’est déroulée sous le signe de la violence et leur cohabitation – plus précisément l’exploitation du colonisé par le colon – s’est poursuivie à grand renfort de baïonnettes et de canons. Le colon et le colonisé sont de vieilles connaissances. Et, de fait, le colon a raison quand il dit « les » connaître. C’est le colon qui a fait et qui continue à faire le colonisé. Le colon tire sa vérité, c’est-à-dire ses biens, du système colonial.
La décolonisation ne passe jamais inaperçue car elle porte sur l’être, elle modifie fondamentalement l’être, elle transforme des spectateurs écrasés d’insensibilité en acteurs privilégiés, saisis de façon grandiose par le faisceau de l’Histoire. Elle introduit dans l’être un rythme propre, apporté par les nouveaux hommes, un nouveau langage, une nouvelle humanité. La décolonisation est véritablement création d’hommes nouveaux. Mais cette création ne reçoit sa légitimité d’aucune puissance surnaturelle : la « chose » colonisée devient homme dans le processus même par lequel elle se libère.
Dans décolonisation, il y a donc exigence d’une remise en question intégrale de la situation coloniale. Sa définition peut, si on veut la décrire avec précision, tenir dans la phrase bien connue : « Les derniers seront les premiers ». La décolonisation est la vérification de cette phrase, toute décolonisation est une réussite. » Frantz Fanon, Les damnés de la terre, p. 40
D’une écriture vive, incisive et habitée, le roman de Joseph Andras est de ces textes qui saisissent le lecteur et interrogent jusqu’à la littérature elle-même. Fernand Iveton vaut bien ce portrait sensible Sa femme Hélène tout autant. Mais ce qu’il y a de fascinant ici, tout autant que dans le refus cohérent d’Andras de tel prix littéraire, c’est cette incessante tentative (parfois vouée à l’échec) de mettre en voix, alors même que s’abat un système et un ordre des choses qui entendent la rendre impossible. A plus d’un titre.
Au titre du militant, de son appartenance au parti, de son allégeance à une cause. Iveton a des convictions, et certaines circonstances (la mort d’Henri Maillot) l’amènent à les affirmer, mais pas à n’importe quel prix (celui de l’attentat aveugle, de la mort d’innocents), alors que le mouvement révolutionnaire et d’indépendance est prêt à ces sacrifices humains.
Au titre de ces scènes douloureuses de torture qui la subit n’est pas présumé coupable ou innocent : il est Le coupable, dont on va soutirer les noms. Cette mise en voix, celle de l’interrogatoire, de la mise en question, est aussi celle de ces silences, de ces mots échappés, de ces prières (au sujet du sort de ses compagnons d’arme). Une mise en voix rendue impossible par les tortionnaires : rien ne peut les satisfaire. Recouverte : ils ont le pouvoir, ils occupent la position qui les autorise à tout, y compris disqualifier la position et le rang de celle et de ceux qui ne l’occupent pas. Fernand est un traître, donc rien, un jouet. Aussi, la mise en voix, quel qu’en soit le résultat, n’est pas là pour révéler quoi que ce soit. D’un côté comme de l’autre. Ceux qui, dehors, luttent l’ont bien saisi et en jouent ainsi qui refusent de reconnaître et de « revendiquer publiquement l’action manquée d’Iveton… La police suspecte les communistes, ils commencent à arrêter les militants PCA et CDI, à tour de bras, ça arrange le Front, à mon avis, ça brouille les pistes et ça détourne l’attention. » (p. 40)
En définitive, face à une réponse militaire, poser l’acte politique qui amène à l’irrémédiable condamnation d’Iveton (la rencontre de ses avocats avec le Président Coty l’atteste) rend toute mise en voix impossible. Et, à l’histoire de recouvrir cette impossibilité-là, de jeter le voile et de nous détourner de toute lucidité.

Mais c’est là aussi le rôle, peut-être, de la littérature : marquer l’écart entre une mise en voix socialement disqualifiée et la mise en voix qui est alors de l’ordre de l’intime, du privé, de ce qui ne peut s’énoncer en public et qui, même s’il n’est pas prononcé, existe au sens d’un monologue, d’un Je Nous parle tout intériorisé. L’émergence de l’humain quand la société humaine le met hors circuit tout en l’intégrant (y compris dans la relation au bourreau, il y a intégration de la déviance condamnée dans un ordre des choses consacré, sans quoi il n’y aurait ni bourreau ni déviant ou traître). Et je peux comprendre alors que le Prix, qui fait office de la mise en spectacle de l’écriture littéraire, ne vaille pas grand chose (ce qui est loin d'une coquetterie et encore moins d'une indélicatesse) quand le vrai travail est celui de cette langue intérieure, de cette mise à l’écart travaillée et ciselée par le mot de l’écrivain, qu'il remet en chantier, à l'ouvrage. La bienséance condamne certainement la cohérence, mais celle-ci rejaillit davantage sur celle-là. Et cette cohérence n’enlève rien, ni au tour de force du colonisé qui s’affirme debout comme l’homme qui ne peut être abattu ("La vie d'un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c'est l'Algérie, son avenir. Et l'Algérie sera libre demain." Ce que répondra Iveton au greffier avant que ne commence la procédure), ni à celui de ce roman grandiose, violent, mais nécessaire.

lundi 16 février 2009

Manifeste pour les produits de Haute nécessité

Texte essentiel
dont voici un extrait:

"Nous appelons donc à ces utopies où le Politique ne serait pas réduit à la gestion des misères inadmissibles ni à la régulation des sauvageries du « Marché », mais où il retrouverait son essence au service de tout ce qui confère une âme au prosaïque en le dépassant ou en l'instrumentalisant de la manière la plus étroite.
Nous appelons à une haute politique, à un art politique, qui installe l'individu, sa relation à l'Autre, au centre d'un projet commun où règne ce que la vie a de plus exigeant, de plus intense et de plus éclatant, et donc de plus sensible à la beauté. "

Signataires:
Ernest BRELEURPatrick CHAMOISEAUSerge DOMIGérard DELVEREdouard GLISSANTGuillaume PIGEARD DE GURBERTOlivier PORTECOPOlivier PULVARJean-Claude WILLIAM
à lire ici, sous format PDF
http://www.mediapart.fr/files/Manifeste%20des%20neuf.pdf

samedi 2 août 2008

Hegel, La Phénoménologie de l’Esprit

D’un côté il faut supporter la longueur du chemin, car chaque moment est nécessaire ; de l’autre il faut s’arrêter à chaque moment et séjourner en lui, car en chacun se trouve la totalité.

P. Guyotat, Carnets

Si je me remets à écrire, je me remets à désirer./ La preuve que, réellement, mon écriture est soutenue par le désir sexuel : c’est que, très souvent, la même page voit se lever l’aube et tomber la nuit.

vendredi 1 août 2008

Quand je demande à Diego s’il prie ou s’il se masturbe


Celui-ci répond : “Un bon chrétien peut faire les deux. D’abord il se masturbe, puis il demande pardon pour avoir répandu sa semence. Moi, en tant qu’athée, j’utilise un kleenex en guise de prière. Et si vous voulez savoir, je ne me masturbe pas seulement avant de dormir. Tous les matins, avant d’aller au travail aussi.” Diego Tolomelli –donc– travaille avec le coeur en fête. Ses vitraux, il les dresse en l’honneur d’un dieu qu’il nomme Vénus ou Bacchus.

L'article se trouve ici, dans les 400 culs

Humeur souriante du matin

lundi 28 juillet 2008

Qui est donc Antigone ?

« Elle ne fait pas partie de l’humanité, mais elle parle son langage. Interdite d’agir, elle agit néanmoins, et son acte n’est guère une assimilation d’une norme existante. En agissant comme quelqu’un qui n’a pas le droit de le faire, elle jette le trouble dans le vocabulaire de la parenté qui est une précondition de l’humain, soulevant implicitement pour nous la question de ce que ces préconditions doivent réellement être. Elle parle dans le cadre d’un langage de pouvoir d’où elle est exclue, s’inscrivant de ce fait dans un langage de revendication avec lequel aucune identification n’est pour finir possible. Si elle est humaine, alors l’humain est entré en métaphore : nous ne connaissons plus son usage propre. Et dans la mesure où elle occupe le langage qui ne pourra jamais lui appartenir, elle fonctionne comme un chiasme dans le vocabulaire des normes politiques. Si la parenté est la précondition de l’humain, alors Antigone est l’occasion d’un nouveau champ de l’humain, qui ne s’accomplit qu’à travers la métaphore, celui qui survient quand les moins qu’humains parlent comme des humains, ceux dont le genre est déplacé, ceux dont la parenté est fondée sur leurs propres lois fondatrices. Elle agit, elle parle, elle devient celle par lequel l’acte de discours est un crime fatal, mais cette fatalité va plus loin que sa propre vie et pénètre dans le discours de l’intelligibilité comme dans sa propre promesse de fatalité, dans la forme sociale de son futur exceptionnel, aberrant. »

Judith Butler,Antigone : la parenté entre vie et mort, Edition EPEL

Ce billet fait suite à celui-ci


samedi 12 janvier 2008

Les 4 saisons… Pièce pour douze danseurs - Ballet Preljocaj


Impressionné par les couleurs. Les objets et autres costumes. Même si je trouve leur utilisation, exploitation/exploration bien convenue.

L’entrée en matière fut particulièrement réussie : les danseurs drapés de vieilles couvertures de l’armée évoluent, souvent au sol, en tentant de se dégager des plis et replis de leur « vêtement ».

Les corps sont beaux, mais le mouvement, de manière générale, manque de fluidité. Quant à la musique de Vivaldi : pur prétexte d’une déclinaison de saisons. En fait, ça m’a semblé un peu un exercice de style. Ni plus, ni moins.

Quelques forts moments, notamment quand une danseuse, prise par des convulsions de l’overdose, s’échappe des bras de son compagnon qui veut la ramener à la vie ; ou bien encore, ce saut à la corde, ces manipulations jalouses des corps.

C’est un moment sympathique. Mais j’en attendais plus.