samedi 20 septembre 2008

La publicité de l’injure : Quand la justice s’en mêle.

Les faits.

Trois rennais, appartenant à un collectif de sans papiers (qui compte une cinquantaine de militants), sont poursuivis par la justice pour avoir injurié et diffamé « une administration publique ou un corps constitué, en l’espèce les fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur, par parole, écrit, image ou moyen audiovisuel ».

Le bâtonnier de Saint-Pierre de la Réunion est convoqué, à la demande du parquet, au tribunal, jeudi 25 septembre, pour diffamation après avoir, lors d'une audience, fait allusion aux diplômes de la ministre de la justice, Rachida Dati (article du Monde, du 18/09/08).

Dans le premier cas, le Procureur de la République motive l’auto-saisine de la justice en se référant à la loi sur la presse du 29 juillet 1881 (articles 29, alinéa 1, articles 30,42,47 et 48 de la loi). Dans le second, alors que l’Express, repris par d’autres journaux, mentionnait le fait « que la ministre n'avait jamais obtenu de MBA à l'Institut supérieur des affaires (ISA) », sans pour autant être inquiété par la justice, les avocats se réfèrent à l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, selon lequel "ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux".

Dans le premier cas, ce sont trois personnes qui, devant la justice et par son fait même, sont conduits à assumer la responsabilité de ce discours et doivent rendre des comptes ; dans le second, c’est le bâtonnier de Saint-Pierre de la Réunion (personne clairement identifiée, au mépris même des protections que la loi envisage dans l’exercice de ses fonctions).

D’où vient l’injure ?

Dans les deux cas, c’est l’institution judiciaire qui engage les poursuites. Ainsi, dans le premier cas, et selon l’article 48 de la loi sus-mentionnée, aliéna 3 , « Dans le cas d'injure ou de diffamation envers les fonctionnaires publics, les dépositaires ou agents de l'autorité publique autres que les ministres et envers les citoyens chargés d'un service ou d'un mandat public, la poursuite aura lieu, soit sur leur plainte, soit d'office sur la plainte du ministre dont ils relèvent ». Dans le second, puisqu’il s’agit d’une diffamation d’un membre du gouvernement, l’alinéa 1 bis de cet article précise : « Dans les cas d'injure et de diffamation envers un membre du Gouvernement, la poursuite aura lieu sur sa demande adressée au ministre de la justice ».

Se pose alors la question de l’origine de l’injure. Car, en fait, dans le cas du bâtonnier, outre sa liberté à un droit d’expression absolu dans le cadre « des débats judiciaires », ce dernier ne fait que reprendre ce qui, sur la voie publique, était déjà en circulation, alors même que les journaux qui l’ont publié, et leurs directeurs, n’ont pas été inquiétés par la justice. Le bâtonnier visé par la plainte est considéré comme l’auteur originel du discours – et le seul auteur -, quand il n’est, dans les faits, que le moyen terme, le porte-parole (c’est par sa voix que le discours est réitéré). D’autre part, alors que plusieurs associations, reconnues sur la place publique, organisées comme le stipule la loi de 1901 sur les associations (tous les responsables sont connus, les statuts sont déposés auprès des préfectures, la responsabilité morale et pénale est, de ce fait, clairement définie), dénoncent, par voie de presse, la « xénophobie d’Etat », les pratiques de contrôles au faciès, et ne sont pas inquiétées par la justice, trois personnes font, elles, et seules, l’objet de poursuites quand le collectif, dans son ensemble, est « épargné ».

Et pour cause ! La loi de 1881 stipule que tout organe de presse, tout message diffusé sur la place publique, doit comporter le nom de son directeur, des données sur l’adresse de l’imprimeur et autres informations permettant d ‘identifier la source. De même, une association, organisée selon la loi de 1901, doit faire connaître, au moins aux services de la préfecture (l’existence de l’association exige cette déclaration), les données quant aux responsables mêmes de l’association (il n’est pas inutile de rappeler que le président de l’association est seul responsable devant la justice). Mais un collectif n’est pas une association, et ne veut pas l’être. Il peut être aussi éphémère que spontané dans sa mobilisation. Il n’a pas l’architecture organisationnelle de l’association puisque, toute décision prise par le collectif l’est collectivement. Elle l’est collectivement puisque chacun des membres-militants du collectif est responsable de tout et de tous (dans un collectif, il y a autant de présidents que de militants…….. ce que la loi de 1901, sur les associations, ne permet pas). Autrement dit, dans les deux cas, la justice se trompe de cibles quand elle impute à l’avocat d’être l’auteur originel de l’injure, et quand elle réserve à trois personnes, plutôt qu’à l’ensemble du groupe, la responsabilité d’un texte dont la responsabilité (dans l’écriture, comme dans sa diffusion) est collective.

D’autre part, quand l’Express révèle les faux diplômes de Rachida Dati, celle-ci s’indigne (notamment dans son livre-témoignage, Je vous fais juge, publié chez Grasset) de cette rumeur concernant des diplômes qu’elle n’aurait pas, et, à part quelques appels agacés du ministère, personne n’impute à ce journal le délit d’injure ou de diffamation. L’information passe auprès du public, circule librement. Vraie ou fausse, fondée ou diffamante, cette révélation évoque le parcours d’une personne, devenue ministre, sans qu’il y ait lieu de considérer la parole comme blessante (même si, pour la personne concernée, elle a été ressentie comme telle, ce ressenti ne suffisait pas à en faire un délit). La parole acquiert le statut de « parole blessante », qui justifie alors les poursuites, non plus dans l’espace (du grand) public, mais dans le cadre d’une plaidoirie de défense. Et c’est l’institution judiciaire qui décide de la blessure occasionnée, comme du caractère blessant de la parole.

Tout comme pour les trois militants rennais ! Quand la LDH publie des textes dénonçant (ou tout simplement évoquant, voire suggérant) la « xénophobie d’Etat », quand le RESF dénonce les rafles et, s’appuyant sur un rapport de la CIMADE, les traitements inhumains à l’intérieur des Centre de Rétention Administrative, cela provoque la colère des politiques et ministres en charge du dossier, mais nullement les poursuites judiciaires. Quand un collectif, impliqué dans ce combat, s’en prend aussi à cette « xénophobie », à ces « rafles », à cette inhumanité des CRA et le fait hors du cadre de l’analyse étayée dans les publications de ces organisations nationales, mais dans un souci d’efficacité militante (toucher le plus de lecteurs, informer, critiquer et rallier à sa cause le plus de monde, notamment pour empêcher telle expulsion, manifester devant un CRA… en somme faire événement, faire un coup, même médiatique), en en détournant l’esprit ou le propos, trois militants et non pas quatre, dix ou cent, sont poursuivis. En somme, par cette auto-saisine de l’institution, le Procureur de la République considérera que les propos de « potache » de ces tracts sont délictueux, quand les argumentations associatives sont critiquables.

Mais qui produit l’injure ?

Le bâtonnier et ces trois militants ? Ils ne font que reprendre ce qui s’est déjà dit, et qui, sur la place publique, existe avant eux .

Il faut bien l’avouer : l’institution judicaire elle-même. C’est l’institution judiciaire elle-même qui produit l’injure en visant ce qui est, selon le cas, dicible ou indicible. Car c’est elle qui décide de statuer sur ce qui peut être dit, sur ce qui ne doit pas l’être. Alors qu’elle croit tenir les responsables de ces délits, elle subit, par le retournement même de son action contre elle-même, ce qu’elle produit. En donnant publicité à son action, elle confère aux propos incriminés un sens et une valeur qu’ils auraient pu ne pas avoir – et qu’ils n’ont pas eus quand les rumeurs ou argumentations, à l’origine de ces paroles « injurieuses », circulaient déjà. En donnant publicité à son action, elle vise un discours qui peut alors faire l’objet de débats publics, et qui peut être repris, ne serait-ce que pour discuter, hors du cadre judicaire et, cette fois alors, sans contrôle, de la vérité ou non de l’injure. Autrement dit, l’institution judiciaire rend possible la re-circulation des propos ainsi visés. Et là encore, elle se trompe de cible quand elle désigne des porte-parole car, en estimant motivées les poursuites pour injure et diffamation, c’est elle-même qui produit l’injure.

Quand la justice se mêle de l’injure, elle s’injurie elle- même.

5 commentaires:

pigiconi a dit…

En complément, ce billet de Maître Eolas
http://www.maitre-eolas.fr/2008/09/18/1081-si-on-ne-peut-plus-dire-n-importe-quoi-en-plaidant-maintenant

Thy Wanek a dit…

Madame Rachidati est un cas pathologique dont la névrose déteint fort logiquement sur le ministère dont elle a la, malheureusement la charge. Et ce n'est pas (que) moi qui le dis. Des professionnels de la justice, hautement placés, n'en peuvent plus...
Face à de tel comportement je ne vois quère d'autre solutions que d'envenimer le débat jusqu'à l'abcès, qu'il faut bien ensuite percer.
Merci pour cet instructif article !

pigiconi a dit…

Fichtre! Dans le cadre de la prévention de la délinquance, chère à la droite umpiste, à Jacques Bénisti qui s'en est fait une spécialité, l'a-t-on prévenu sur les risques encourus par l'enfant à naître? Car la pathologie maternelle peut fortement déteindre sur le comportement et la conduite de la progéniture! Est-ce que je diffame?

Thy Wanek a dit…

Je ne sais pas si tu dis femme : mais c'est limite sexiste !!! Attention, Edvige a peut-être baissé les bras, mais la succession est sûrement assurée !!!
Ceci dit je serais assez d'accord pour surveiller de près ce foetus...

pigiconi a dit…

Je te laisse la surveillance au plus près et de tous instants du foetus................