jeudi 9 avril 2009

Qu'est-ce qui distingue le sujet de l'individu ? Tout individu qui dit je n'est-il pas un sujet ?

En hommage à Henri Meschonic, décédé le 8 avril, suite à cette note, cet entretien avec Jacques Ancet, paru dans la revue Prétexte, dont j'extrais un passage

H.M : Je pense toujours à la réponse de Foucault, dans les débats qui suivent sa conférence de 1969 «Qu'est-ce qu'un auteur ?», quand il dit : «il n'y a pas de sujet absolu», «sujet de quoi», du désir, et de plusieurs autres choses. Sans doute il y a une fonction sujet de l'individu, et autant de fonctions sujet qu'il y a d'activités qui peuvent constituer un individu en sujet. Mais il est capital, d'abord, de ne pas confondre individu et sujet. Il me semble qu'on peut soutenir que l'individu n'advient comme tel, dans la conscience qu'il peut avoir de lui-même comme tel, que par l'élaboration du sujet philosophique et psychologique. Il y a sans doute, si on part de cette idée, une infinité de gradations entre une absence complète du sens d'être un individu, selon les époques et les sociétés, jusqu'à l'hyperconscience individuelle supposée mener à l'individualisme. Avec cette dérive, propre à certains théo-socio-logiens d'aujourd'hui, d'accuser l'individualisme, et son hédonisme, d'atomiser et de détruire la société occidentale. J'observe que ceux qui confondent individu et sujet le font toujours au profit du seul sujet philosophique et psychologique. Donc, dans leur représentation de la société, et de la modernité, ils oublient l'art. Cet oubli se paie immédiatement d'une confusion entre modernité (philosophique) et modernisation. On est dans la situation même qui permet de comprendre pourquoi, du Japon aux États-Unis, über alles règne la pensée Heidegger du sujet : un syncrétisme du sujet philosophique conquérant le monde du savoir et le monde des hommes, ce que l'emploi de l'adjectif occidental rend d'autant plus naturel, c'est-à-dire que le super-sujet Europe fond et confond en un seul la modernité technologique, la démocratie, le capitalisme et l'impérialisme occidental qui s'universalise. En conséquence, il n'y a plus, pour se libérer de cette oppression, que la négation-dénégation de ce sens unique, sous la forme du déconstructionnisme-Derrida, qui, tout en fournissant l'illusion d'une libération par le nihilisme du sens, maintient intégralement le syncrétisme-Heidegger. Mais il est différé indéfiniment dans le ludique et l'annulation de la vérité. Ce qui fait le plus croire à l'annulation du sujet philosophique, avec son lien au signe et au sens, est ce qui contribue le plus à le maintenir. Dans le caractère fusionnel du poétique et du politique, qui est celui de cette indifférenciation, et qui permet qu'une absence maximale de pensée se donne pour une vulgate de la pensée. La seule parade à cet étouffement me semble la nécessité de distinguer entre tous ces sujets qui se pressent quand on dit je. Pêle-mêle, et vite, à distinguer du sujet philosophique en général, et du sujet conquérant, que mêle déjà Heidegger, un sujet de la connaissance scientifique abstraite ; un sujet de la connaissance de l'autre comme autre (l'invention de l'ethnographie n'est pas le colonialisme) ; un sujet du bonheur ; un sujet du sentiment de soi ; un sujet du sentiment esthétique ; un sujet du droit, pour ne plus confondre la critique que je fais, pour la poétique, de la rationalité des Lumières, ni avec celle de Foucault, ni surtout, avec le rejet réactionnaire ou anti-occidentaliste de la démocratie ; sans oublier le sujet de l'histoire, le sujet de l'idéologie, le sujet linguistique de l'énoncé et le sujet de l'énonciation, le sujet freudien. J'ajoute le sujet du poème, et je suis sûr que j'en oublie. Il s'agit de ne plus confondre l'universalisation de l'Occident avec des universaux réels, qui n'ont pas, étant des universaux, à lutter contre l'occidentalisation du monde.

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