samedi 11 juin 2011

L'être-Révoltant



"L’être-révoltant est l’expression d’une passion pour le monde qui se conjugue à une passion pour l’absence. Cette « vérité discordante » constitue l’aspect typiquement aporétique d’un concept dont la manifestation est indissociable de la concrétude désordonnée de l’existence. Dans l’optique de l’être-révoltant, la complicité avec ce qui n’existe pas se superpose à une affection particulière pour l’existence impure de monde, car la vie – ce qui nous entraîne dans le monde – est une modalité de la rupture en tant qu’infidélité à soi-même. L’adhésion au monde propre à la révolte au monde a la forme de la lacération. Elle est traversée par une disjonction irrémédiable, comme ces baisers qui marquent la distance.
La passion pour l’absence que cultive la révolte fait aussi comprendre pourquoi, après son éruption, l’anonymat inquiétant de la singularité se lie politiquement à d’autres singularités, sans être animée par le besoin d’un leader ou de quelque hiérarchie. pour le pouvoir politique, cette « invisibilité manifeste » de la singularité révoltante est ce qu’il ya de plus dangereux en elle.
La révolte est une insurrection locale qui ne vise pas le pouvoir en général – une idéation métaphysique -, elle évoque plutôt, sans manifester une vision partielle du monde (l’être-révoltant est, d’ailleurs, la vérité de la finitude que nous sommes pour nous-mêmes) le lieu de résistance de la vie, au sens propre du terme. En ce sens l’être-révoltant est le nœud anthropologique de ce qui en soi est dénoué : les révoltes infinies qui tourmentent le bio-pouvoir global partout dans le monde. sa charge politique condense en elle la complicité indéchiffrable qui relie des événements séparés dans le temps et l’espace et divisés par d’innombrables particularités. Pour qui en observe l’existence énigmatique et multiple, la perception perturbante d’un lien entre des révoltes globales, à un moment qui coïncide avec l’épuisement du projet politique moderne à l’échelle du monde (que l’on pense par exemple à l’agonie des Nations Unies), est celle de la marque universelle d’une condition singulière qui concerne tout le monde : l’être-révoltant. C’est un fil qui unifie les diverses révoltes destituantes au moment où il est désormais impossible de vivre dans le monde autrement que dans la honte.
Dans l’instant révoltant, et donc dans la rupture du lien entre la nature révoltante de l’homme et sa condition révoltante dans le monde, ceux qui n’adhèrent pas au mouvement abyssal/catastrophique du monde deviennent des ennemis de l’événement (il s’agit de figures mortelles, puisqu’elles visent à conserver le monde tel qu’il est, en dépit de ce qu’il présente de quotidiennement intolérable). Ils ne demeurent toutefois tels que dans la mesure où, tandis que la révolte a lieu, ils nient leur disposition à la révolte et, affolés par la peur d’ébranler ce qui est, deviennent des incarnations de l’ordre, à l’instant impétueux et événementiel de l’insurrection.  Au fond, néanmoins, les révoltés n’ont pas d’ennemi universel. celui qui se révolte ne connaît pas d’antagonistes biologiques – tout homme est naturellement un être-révoltant – ni adversaires que caractériseraient des motivations spirituelles absolues.
L’être-révoltant n’est pas le référent d’une conception ontologique totalisante : son pli dans le monde, la révolte, a beau représenter une potentialité de l’être concernant tout le monde, il n’est en rien l’expression d’une loi de l’histoire qui commanderait la conduite de chacun.
L’être-révoltant rompt la fascination de la marginalité et indique une chance mondaine pour qui n’a pas de monde. En faisant voler en éclats la rationalité de la frustration des victimes, il montre à toutes les singularité un mouvement inouï de l’être. Même un moine bouddhiste peut devenir un révolté et lutter  pour dénoncer l’illégitimité du pouvoir constitué. Même une tranquille institutrice, partout dans le monde, peut devenir une figure inquiétante pour le bio-pouvoir pastoral.
La révolte permet de se soustraire au ressentiment intérieur : elle est une ouverture au/du monde."
Pierandrea Amato, La Révolte, éditions Lignes, 2011, pp.46-49

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