dimanche 17 février 2013

Les sentiers de l’utopie.


Voyage en Europe, à travers des expériences de vie communautaire.

Outre la diversité des « communautés » rencontrées, des pratiques et des principes qui les animent, le récit s’organise et se nourrit de réflexions politiques, économiques et sociologiques qui le rendent particulièrement stimulant. Programmé et réfléchi, avant d’être mis en œuvre, c’est à un véritable parcours initiatique à travers l’Europe, dans ces lieux qui, avant d’être de lutte, sont d’abord des lieux de vie. Pour les auteurs, ces sentiers, fragiles, sont d’abord le fait d’une utopie vive et, ainsi qu’ils le soulignent en conclusion du livre :
« L’utopie n’est pas nulle part, mais partout où on la reconquiert, loin des fantasmes de l’avenir, pour la ramener de la fin de l’histoire à ce moment précis du présent. L’Utopie n’est pas nulle part, mais ici. Parce que l’Utopie, c’est appartenir à l’ici et maintenant. D’ailleurs, elle est si ancrée dans le présent que l’avenir vous appartient. Elle est ce qu’Ernst Bloch a appelé le « moment utopique » : cette fraction de seconde précédant toute chose, là où tout est possible. Elle est cette minuscule inspiration que l’on prend avant de sauter dans le vide, l’étincelle qui traverse nos synapses lorsque l’on comprend que, après tout, on est capable de voler… »[1]

Entre activisme et idéalisme béat d’un autre monde enfin possible, c’est tout de même bien à l’épreuve de nos sociétés contemporaines et de leur logique libérale ou néo-libérale que se confrontent tous ces utopistes contemporains. Par là, c’est aussi une redéfinition de ce qui est politique qu’ils élaborent. Une politique incarnée et pas simplement déclarée qui passe par la vulnérabilité des corps et des actes :
« Cette incarnation du politique résulte du désir de dépasser toutes les séparations, que ce soit entre la vie et les croyances, ou entre la nourriture dans son assiette et la spiritualité. Une attention particulière est portée à chaque acte, relié à tout ce qui l’entoure, à la fois dans le temps et dans l’espace, et à ses conséquences. Chaque moment de la journée devient politique par le choix que l’on effectue. La politique ne se résume plus au simple rituel du bulletin de vote glissé dans une urne tous les quatre ans pour désigner quelqu’un qui doit vous représenter. Au cœur de ce type de vie, on retrouve le désir de tout maintenir en équilibre, ce qui n’est pas toujours évident. »[2]

Parmi les leçons, deux ressortent. Tout d’abord, cette idée que la politique ne se réalise pas à partir d’une conception linéaire de l’histoire : la communauté se redessine à tout moment ; avoir prise sur les événements, c’est s’engager dans un ici-et-maintenant qui ne renonce pourtant pas à s’installer dans une permanence, dans une longévité qui se réécrit plutôt qu’elle ne se définit comme une suite héritée, transmise et orientée vers une fin postulée. La deuxième leçon relève du procès de la démocratie libérale qui s’organise par la délégation de la parole, qui n’est autre qu’une disqualification de cette même parole. Un système sans représentation, un système où s’équilibrent ces prises de parole singulières et l’intérêt pour le présent, qui est intérêt pour son environnement, aussi bien écologique, économique que personnel. A une politique devenue « la mainmise professionnelle sir le pouvoir par des institutions et des bureaucraties distantes et coercitives », il s’agit d’opposer « la vraie politique [qui] se déroule entre des gens détenteurs de connaissance locale et d’expérience collective, face à face dans l’espace public. »[3] En somme, la politique ne se décrète pas.
Avoir prise sur les événements, c’est, non pas se disposer à une autonomie à conquérir et à réaliser, mais bien s’appuyer, s’ancrer dans cette autonomie singulière des uns et des autres. A une conception de la politique déterminée par une fin à faire advenir (le progrès, le bonheur, etc.), chacune de ses expériences, incomprises par les institutions, évoquent l’autonomie de fait des voix qui circulent à l’intérieur de chaque assemblée. La politique n’est plus alors un surplus à construire ou à aménager, elle est dans ce geste et dans la vulnérabilité assumée de l’ici-et-maintenant.

Par ici

[1] Isabelle Fremeaux et John Jordan, Les sentiers de l’utopie, éd. La Découverte/Poche, p. 370
[2]  p.56
[3] p.148

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