Il y faut beaucoup de force et de puissance pour réussir à s’absenter,
parce qu’il n’y a rien d’indifférent à y parvenir. Le quotidien est là qui nous
attache et nous relie. La puissance est celle de se délier, de se vouloir
retiré et comme suspendu hors du temps et du lieu communs. S’absenter c’est
faire ce pas de côté, s’offrir à la marge, se donner l’occasion, dans toute la
maîtrise qu’il nous est possible et loisible de mettre en œuvre, sans qu’aucune
discipline ne nous y contraigne. En ce sens, il n’y a rien de comparable entre
s’absenter et l’absence. Cette dernière se subit, s’éprouve comme une présence
en défaut ou défaillante quand elle n’est pas annulée, et se vit dans la
blessure. L’absence appelle ce qui demeure sans écho et se lamente. Au contraire
de l’autre, qui réalise, dans une sorte de confusion, un entre-deux,
reconfigure les frontières et les limites de ce qui est acceptable ou non. Il y
a de la création !
On a pu penser que cet écart manifesterait un ennui et une
inattention à soi. Qu’il y ait ennui, on peut bien le comprendre : qu’est-ce
qui motiverait alors cette dynamique d’échappement ? Mais il ne s’agit
point de se détourner de soi, de se figurer un autre que je ne suis pas ou un
ailleurs inaccessible. Il y a dans ce mouvement une manière de renouer avec
soi, de coïncider et de se communiquer ce qu’une vie quotidienne, dans l’urgence
des réponses à y apporter, ne saurait achever. S’absenter est alors se nourrir
de soi, s’alimenter à cette source vive, mais trop souvent asséchée, et se
sentir le plus profondément, le plus intensément atteint et accompli par ce qui
compte le plus.
S’absenter c’est s’offrir à la douceur et à la plénitude de
cette vie intérieure. C’est goûter de nouveau et pour longtemps encore à ce qui
nous est précieux, comme à ces belles présences qui nous enchantent. C’est se
vivre dans tout ce qui, sensible ne se partage qu’en se donnant absolument et
sans contrepartie. C’est ce qui rend possible… notamment tout ce qui s’écrit
comme possible. S’absenter ne se souffre pas. Au contraire, s’absenter est pleinement
joyeux.
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