« Qui peut croire encore que l’on peut mourir de déshonneur.
Je suis née, selon la légende, le 18 février 1970. Poisson, ou poissonne, c’est comme on le sent. Et d’ailleurs, il est possible de sentir ce que l’on veut me concernant. Je suis ce monde possible, de tous vos possibles. A l’âge de deux ans, mes parents avaient le choix entre m’amputer de la jambe gauche et me laisser claudiquer. Je crois qu’ils n’ont pas voulu décider. Ce qui a fait que toute ma vie, j’ai décidé pour eux, pour ce geste qu’ils n’ont pas eu le cran d’accomplir. Et regarde-moi, toi, le polisson qui cherche cet instant de fausse jouissance parce que te décharger dans mon corps offert n’a rien de très téméraire ! Regarde ce que tu es prêt de faire. Un claquement de doigts et je suis à tes pieds. La bouche entrouverte et je m’offre afin de me perdre dans ton antre. Tu pues l’alcool, le vagin des autres prostituées que tu t’es payées, le sexe viril de tes compagnons de chambrée, tu pues le rance et tu crains de te perdre. Tu vis ta vie dans l’ombre et je te tente au grand jour, sous le lampadaire, là où nulle vie ne doit s’abandonner. Entends-tu bien cet écho de ta chair ? Oh que oui, tu l’entends ! et d ‘ailleurs, tu fanfaronnes. Là, au milieu des cadavres de bière, de la poussière, tu l’entends et tu le fuis. Te perdre dans ce corps que tu achètes, que tu prétends louer pour l’instant furtif de ta mâle puissance, est l’expérience la plus radicale qui te soit donner de vivre. Pour moi, me perdre et me donner est tout un. Et je crois que je jouis encore davantage de cet épisode où nos deux corps vont se tenir, se rapprocher, s’étreindre. Allez, prends-moi ! N’aies peur ! Je t’y autorise. Ne parle pas ! Tu romprais l’accord entre nous. Le mot désincarne et c’est toi qui veux te soulager. Accomplis ton rôle. Mais fais-le vite. Entre nous, il n’y a pas le temps pour une passion. Ne vois-tu pas qui je suis ? Ne vois-tu pas ce que je veux pour toi ? Allez décide-toi ! Quoi donc, tu recules ? Allez, regarde, nous sommes seuls. Ne fais pas ton, timide. Je suis Prostitution, des bas-fonds, des quartiers sombres ! Je suis Prostitution, celle que tu attends. Alors n’aies crainte. Approche. La nuit est enfin à nous. Et que tous les hommes, que toutes les femmes bavent de jalousie. Là, au milieu d’eux tous, tu vas accomplir le geste fatal, l’acte unique. Prends-moi, tu en auras pour ton, argent ! Prends-moi, tu en auras pour ton compte ! Toutes ces heures où tu m’as attendue ne comptent plus. Je suis là pour te délivrer. Allez, viens… »
Le jeune homme en militaire la gifle et s’enfuit.
Il croise sur son chemin une femme.
Le jeune homme en militaire : il n’y a rien à en tirer ! Du talent, peut-être ! je ne le nie pas ! quoique, à mon goût, elle reste un peu trop blonde dans le blond, un peu trop maigre, plus tout à fait en fleur, malgré les traits enfantins de son visage !
Dame 1 : voilà une belle affaire !
Le jeune homme en militaire : de goût, et c’est tout !
Dame 1 : cela suffit-il ? la pauvre fille ! c’est avec des mecs comme vous que… non mais voyez-moi ça ! ça fait le dur, le fier et ça chipote sur la couleur des cheveux, des yeux, la tenue, le maintien !... Vous pensez que c’est le moment ? N’avez que ça à faire ! La pauvre fille ! S’il n’y avait pas des gens comme vous, il n’y aurait pas de filles comme elle ! Vous vous rendez pas compte de tout le mal que vous lui faites !
L’homme rampant : vous avez fini vos commérages ? Non mais vous avez fini !? Séparez-vous !
Le jeune homme en militaire : il y a quelque chose de ma petite sœur ! vous y croyez, vous ? quelque chose de la frangine ! peut-être dans le sourire ! mais elle était brune !
L’homme rampant : suffit ! SUFFIT !
Pendant ce temps, dans son coin, Prostitution parle :
J’ai un " statut " différent pour mes clients. Certains sont en adoration devant moi. Ou plutôt devant mon corps. Mes vingt ans, en tout cas ce qu’il m’en reste, ma peau, mon ventre plat, ma minceur, mon petit cul rebondi, mes pieds, mes longues jambes, mes oreilles, mes sourcils, que sais-je, tout cela est comme sacré, ils veulent l’adorer, le touchent avec émotion du bout des doigts, avec, on le sent, un cœur qui se déchaîne quand j’expose l’objet d’adoration, mon corps. Ils me respectent, me traitent comme un objet fragile, sont embêtés d’avoir à payer, un peu soumis. C’est moi qui mène la danse. Ceux-là sont mes clients de rêve. Je sais que je vais leur faire un effet bœuf. Ils vont mettre du temps à me choisir. Ils sont tellement en adoration qu’ils sont prêts à payer cher. Mais ces clients sont rares.
D’autre sont tout aussi fétichistes, mais dominateurs. Ils sont sur le circuit depuis longtemps. N’hésitent pas à demander à voir ou tâter la marchandise avant d’acheter (tu te rases pas j’espère ? quelle taille ? baisse ton froc que je voie ton cul…). Avec ceux-là, je sais que je deviens un objet, bas, sans intérêt, purement réduit à mon cul … Ils me méprisent. Ce sont ceux qui ont honte d’acheter, mais l’expriment par le mépris et la haine. C’est avec eux que ça peut mal se passer. C’est avec eux que je dois faire attention.
D’autres enfin, regardent peu la marchandise. Ils veulent surtout vite se faire pomper, sur le chemin de retour du bureau. Ils choisissent vite, ne tergiversent pas, vont droit au but. Ca se passe dans leur bagnole, dans un buisson, dans un réduit. Peu de mots. Pas de relation, pas de regards dans les yeux, pas de discussion (Salut. Combien. Monte. Juste une pipe. Baisse ta culotte. Vas-y suce. Hum. C’est bon. Salut. Tiens voilà.). Ceux-là, parfois, je peux m’en faire quatre ou cinq d’affilée, surtout le jeudi ou le vendredi. Pour ceux-là, je suis quelque chose qui remplace avantageusement leur main.
L’homme rampant : venez, il fait froid ici. Vous êtes exposée aux courants d’air. Voici une couverture. Je ne vous veux rien.
Dame 1 : oui, cela vaut mieux.
Le jeune homme en militaire : emmenez-la. Je ne supporte plus son regard. Tu m’entends, toi, sale pute ! Je n’ai pas le regard lubrique que tu attends de moi ! Je n’ai pas tant de saleté dans la tête pour te laisser croire que tu pourrais me convenir. Emmenez-la !… J’ai pas envie de ressembler à mon père.
L’homme rampant : pourquoi ? qui était-il ? il ne vous emmenait pas à l’école le matin ?
Dame1 : il faut être respectueux de ses parents. C’est important, ça, le respect ! C’est même précieux !
Prostitution : Moi, j’aurais bien aimé en avoir, des parents ! ça manque ! pendant toute une vie !
Le jeune homme en militaire : vous, je ne vous parle pas !
L’homme rampant, Dame 1, Prostitution : oh lalalala ! qu’il est susceptible.
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