dimanche 17 février 2008

Un candide en terre sainte (1)


Dans la lignée de Maspero, Balkans Transit, Debray quitte le concept de chambre et de salon pour éprouver ces mystiques qui se sont brûlées les ailes parce qu’elles ont pris le risque de déchoir avec la politique.

J’aime cette image/volonté du candide qui, libre de ses concepts préjugeant de la signification et de la distinction, ouvre l’œil, guette, plaide autant qu’il interroge…

Expérience du métissage qu’on peine tant à imaginer, par chez nous…..

Cette parole d’un ecclésiastique rencontré au début du périple dans cette Terre de l’Homme :

« Je suis arabe, de culture musulmane, de religion chrétienne, de mémoire byzantine,et dans un milieu juif. Je suis tout cela à la fois. Je suis l’histoire de cette région depuis trois mille ans. Je n’aime pas les identités. Je n’ai que des appartenances. Est-ce que j’ai l’air d’un homme déchiré ? » (p.44)

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Extraits de La Croix

L’idée de Régis Debray – qui n’apparaîtra « candide » qu’à d’autres candides, car il n’est pas né de la dernière pluie sur les choses de la religion, particulièrement chrétienne – est de nous promener dans cette « terre sainte » et de tenter de refaire l’itinéraire de Jésus. Non pour accompagner quelque pèlerinage (ce n’est pas le genre du bonhomme) ni pour débusquer des archéologues en plein ouvrage, et moins encore pour attester la vérité des Évangiles, auxquels il accorde peu d’importance scientifique ou historique.

Mais pour vérifier, in situ, ce que les monothéismes ont produit sur terre. Et en quoi cet « Orient compliqué » dont parlait de Gaulle (qui y vécut deux ans, ce que souvent l’on ignore) mérite notre attention, y compris au sens où il faut faire très attention à quelque chose qui risque de nous exploser à la face ou à l’âme.

On sent bien l’attachement que Régis Debray éprouve pour la figure, la personne et le message de Jésus. Il ne croit pas à sa divinité mais il se dit que ce prophète d’il y a deux mille ans, ce révolutionnaire en sandales, annonçait des temps heureux qui ne vinrent pas. Et surtout pas en son pays. Au total, une lecture passionnée de l’histoire en train de se faire (défaire plutôt) et une nostalgie pour une espérance qu’il se refuse à éprouver.

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« Entre ce que j’ai vu là-bas, et ce que j’entends et lis ici à Paris où je fais escale, le hiatus gêne aux entournures. » Et, « L’écart entre ce qui est dit, parce que nous souhaitons l’entendre (retraits locaux, assouplissements de permis, levée d’un barrage sur vingt, inflexion du ton, etc.), et ce qui est fait sur le terrain, et que nous répugnons à voir (maillage des colonies, constructions de ponts et tunnels, encerclements des localités palestiniennes, expropriation des terres, destructions des maisons, etc.), prend des proportions les uns diront d’un double jeu, les autres d’une schizophrénie. »

Le titre a quelque chose de beau. Cette candeur m’a attiré. Le récit s’est révélé à la hauteur de mes espoirs. Le candide travaille à la paix et ce texte est un texte de paix. Loin de toutes les tractations politiciennes. Avec maestria !

Il ne s’agit pas d’un énième plan, d’une utopie philosophique ou d’une dissertation ou l’intellectuel de salon se plaît à laisser la trace, marque de son concept. Ce sont des rencontres, de chaque bord, de tous les côtés des frontières autant géopolitiques que « culturelles ».

Mais c’est une chose de vouloir tracer la frontière, au risque d’exclure et de dénaturer. C’en est une autre de vouloir visiter ces zones frontalières. Visiter, physiquement, puisque c’est tout un périple sur les lieux fondateurs des trois religions du Livre. Mais visiter aussi avec cette exigence de la Re-Signification pour ce candide qui n’a que ses yeux pour voir, ses oreilles pour écouter.

Or, notre Occident ne sait plus se montrer aussi exigeant que le candide. Il s’investit sur ces terrains-là, parfois au plus grand mépris des communauté qui l’habitent (et comment s’étonner, parfois, qu’elles ne nous le retournent pas méchamment). Il faut retenir ce que ces étudiants palestiniens lancent (Vae victis : en Palestine) à la tête de l’Européen qui les visite : le sentiment de honte est immanquable. Mais à côté de la fureur de cette jeunesse, il y a aussi tous ces gestes et postures qu’on ne veut guère voir (nous en donne-t-on seulement l’occasion, par chez nous, ici ??) et qui pourtant comptent dans l’édifice de la paix et de l’humanité en ces terres saintes.

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