vendredi 13 juillet 2007

Microfiction1

Je suis descendu de la voiture garée dans l’allée. J’ai sorti mes achats du coffre et suis rentré.

Pas un bruit à l’intérieur de la maison, il faisait froid. Tout à l’heure, j’allumerai la cheminée. Je suis monté à l’étage avec mes paquets et j’ai tout défait dans la chambre.

J’ai remisé le grand lit au grenier, recouvert d’une bâche imperméable. J’ai déployé, à sa place, le lit de camp, couleur militaire. Je me suis allongé. J’ai évalué les positions que pouvait prendre mon corps : couché sur le dos, de chaque côté, il y a l’espace de 15-20 cm entre mon corps et l’armature métallique ; en chien de fusil, les genoux dépassent ; droit, sur le flanc gauche, le vide sous mon bras étendu est d’environ 20 cm. J’ai pris un oreiller et j’ai somnolé, je ne sais combien de temps.

Dans la cuisine, alors que les assiettes sales s’amoncellent depuis deux-trois jours, j’ai ouvert une bouteille de vin et, verre en main, la bouteille dans l’autre, j’ai fait le tour du propriétaire. La cuisine était spacieuse et c’était, pour le prix, ce qui nous avait particulièrement attiré. Des jouets traînent. Elle était devenue une pièce à vivre et les enfants appréciaient davantage diriger leurs camions, commander leur tractopelle ici, avec nous, que dans le salon. Ils surveillaient la préparation du repas et, en véritables marmitons, recommandaient telle pincée d’ingrédient ou de touiller à tel moment. Le salon, vide lors de la visite, avait un beau volume. Deux grandes baies vitrées sur un jardin en friche. Orienté ouest. Le plâtre avait été refait. Il y avait une évacuation pour la cheminée, mais pas de poêle. Je suis passé entre la grande table en merisier, le canapé futon, les diverses plantes. Il pleut.

A l’étage, ce sont les chambres. Un petit coup d’œil furtif. Des tiroirs qu’ils n’ont pas eu le temps de refermer. Des livres ouverts, des lits défaits. J’ai pris leur oreiller. Leur odeur, malgré le froid. J’ai cru deviner une certaine précipitation dans leur départ. J’ai avancé dans la chambre des parents. C’était une autre vie.

Cela fait deux-trois jours qu’ils sont partis. Sur le coup, le mot qu’elle m’avait écrit me semblait totalement indécent. « Rassure-toi ! J’ai besoin de quelques jours ! Laisse-nous tout ce temps-là ». Je l’ai lu, l’ai déchiré, l’ai jeté au feu. Je n’ai pas eu besoin de crier, de pleurer, de parler parce que toute explication aurait été vaine, mais de me recroqueviller, de me rapetisser. Cela fait deux-trois jours que j’aménage ma coquille. Et j’ai laissé le téléphone sonné, baissant au maximum le volume du répondeur.

Ma dernière gorgée de vin. J’ai regardé le plafond, la fente qui part du fil électrique de l’abat-jour. Celui-là, je ne l’ai jamais aimé mais je l’ai laissée l’installer. J’essaie d’imaginer s’il y a une vie dans l’interstice et qui peut bien s’y loger. Je n’ai jamais été naturaliste pour deux sous, là je le regrette. Si je rêve de me retrouver en blouse blanche, devant mon microscope, je ne vais guère plus loin. J’étends les bras comme un crucifié et je ris un bon coup. Elle se figure que tout ce temps-là je ne l’ai pas aimée. Je voudrais encore du vin mais il me semble que me lever supposerait un effort surhumain que je ne peux faire. Je ris encore. Contente-toi de ce que tu as pour ne pas vouloir ce que tu ne peux avoir. Je reconnais bien là la morale paternelle ! Je ris de plus en plus fort.

Les enfants. Je les ai vus grandir. Pour tous ceux qui me demandaient de leurs nouvelles, c’était la prunelle de mes yeux, la vie de ma vie… Relent d’un petit discours officiel, convenu. Tous les parents disent cela. Mais où j’étais quand ils grandissaient ? Quelle est ma part ? Mentalement, je redessine les lettres de son mot. Je ferme les yeux. Rapetissé mais pas assez vide.

J’ai dormi. J’en ai mal au dos. Tout est question d’habitude. Je m’y suis pris à trois fois pour me lever. Il fait nuit dehors. Je n’ai plus aucune notion du temps, et d’ailleurs, tous les réveils affichent des heures différentes. L’une pour être sûre de ne pas être en retard. L’autre, pour leur laisser du temps, « ils sont tellement mignons quand ils dorment. Cinq minutes de plus ne leur fera pas de mal ! ». La dernière, enfin, dans la cuisine, « mais c’est juste pour la cuisson ». Quant à la chaîne et au magnétoscope, c’est un « 0h00 » qui clignote. Et je navigue entre toutes ces heures. J’ai toujours été à la traîne pour aller au lycée. C’est toujours Marc, mon compagnon de chambrée, qui, une fois réveillé, me bousculait pour l’appel sous le drapeau. Je vis la durée à l’instinct et ce n’est pas toujours évident pour s’adapter.

En bas, sur la table en merisier, des factures, un relevé bancaire, un vieux journal. Payer, pleurer, penser, contester, archiver, signer, contresigner, vérifier, accumuler… C’est mon esprit conservateur ! J’arrive encore à me moquer. Je ramasse des brindilles, froisse les pages d’un magazine, place et replace deux vieilles bûches, gratte une allumette et je regarde le feu prendre. Un casse-croûte devant la cheminée. Je n’ai pas très faim, mais au moins ça m’occupera la tête. Ca estompera le parfum de sa veste. Je ne veux plus la sentir, de peur de ne pas pouvoir supporter. Mais ça devient entêtant, malgré l’odeur du vieux saint-nectaire et du bois qui se consume. Je suis allé finir ma dernière bouchée dans le jardin.

Aujourd’hui, j’ai trente huit ans. Je me sens seul, mais pas que depuis maintenant. Va donc comprendre !

Mon père au téléphone. Sa retraite qui approche. Son gros rire. Les soucis pour la vente de la maison. Tous les kilomètres effectués pour dénicher le petit nid dans lequel ils pourront accueillir la descendance. Tout le monde va bien chez toi ? Tout le monde ! Quand ça va, tout va ! Je t’embrasse mon grand. Bonjour au clan. Je suis soulagé quand il raccroche. J’ai réussi à ne rien laisser paraître.

L’angoisse me prend, par derrière la tête. Une sorte de fébrilité qui se répand dans tout le corps et se noue au niveau du ventre. Je m’active, fais la poussière, passe l’aspirateur, nettoie le sol. J’ai peur !

La salle d’attente du médecin. Le nez sur les revues, parfois des regards de biais. Belle communauté d’éclopés ! Le médecin a de toute façon du retard. Comme mon sommeil. Je sais déjà ce qu’il va me prescrire, l’effet de l’accoutumance au médicament, cette barre dans le crâne. Peut-être aussi va-t-il me conseiller d’aller voir quelqu’un. « Je ne sais pas comment vous avez fait, Monsieur, mais il me semble que pendant tout ce temps, vous vous êtes échappé à vous-mêmes ! » Je ne suis pas sûr de bien comprendre mais j’acquiesce. « Tu manques parfois tellement de tendresse, alors que j’en ai excessivement besoin ! ». Elle me l’a dit assez souvent. Ca a un rapport, vous pensez docteur. J’ai payé la consultation. Je veux dormir.

Je me lève et me dirige à la fenêtre. Il m’a semblé reconnaître le bruit de la voiture. Je ne sais pas si je vais résister longtemps à ces fausses alertes. La rue redevient silencieuse.

J’ai des questions. J’ai des questions. Mais pas de réponse. Mensonge. Trahison. Supercheries. Ruses. Plaisirs et déplaisirs. Te suffire. Me suffire. Dire. Ne pas dire. Ne pas vouloir entendre. Expliquer mais c’est maladroit ou blessant ou accablant ou minable. La faute. Le mal. La souffrance. Le silence. Les larmes. Les cris. Croire. Ne plus croire. Essayer pourtant. Le vouloir sans le pouvoir. Peut-être qu’avec le temps. Avec la distance. Comprendre. Refuser. Entendre. Nier. Suspendre. Renvoyer : pas belle l’image. Alors laisse-moi te regarder, comme si du possible renaissait. Tu es absente et c’est mon absence que tu m’as reprochée. L’eau de la douche se refroidit de plus en plus jusqu’à ce que je ne puisse plus tenir. Je pleure.

Je prenais les enfants sur les genoux, je souriais au deuxième qui m’interrogeait sur le pourquoi du comment, je participais à leurs jeux, je conduisais les camions, empilais les lego, leur racontais de petites histoires, les couchais. Leur père. Nous évoquions le temps des études, les meilleures écoles, les grandes vacances, le prochain Noël, un chien ça les amuserait ?, ils en sont pas trop petits ! Et c’étaient les week-ends, chez les uns ou les autres, les semaines qui s’entassent, l’énergie qu’on dégage, les allées et venues, les discussions qui n’en finissent pas, ceux qui entendent et n’écoutent pas, ceux qui écoutent mais ne comprennent pas ! et c’étaient les projets, qui n’aboutissent pas, les rêves, illusoires, les appels à la raison, les mouvements de la déraison. Comment je peux te dire toute cette lassitude que j’ai trompée parce que je tenais nous en épargner. Comment te dire que si j’ai trompé quelqu’un, c’est d’abord moi-même.

Il pleut toujours. J’ouvre et je referme l’une des baies vitrées. L’eau s’est déjà infiltrée. Je cherche une serpillière. Je cherche tellement que je n’en trouve aucune. Je suis fatigué.

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