vendredi 13 juillet 2007

Microfiction2: il ya quelque chose du fils

IL y a quelque chose du fils...

« Il y a quelque chose du fils qu’on ne retrouvera jamais », pleure le père.

« Il y a quelque chose du fils qu’on ne retrouvera jamais », dit, froidement, la mère.

« Il y a quelque chose du fils qu’on ne nous redonnera pas », dit, avec effroi, le frère.

Pendant ce temps, le plat de viande rouge passe des uns aux autres, suivi de prés par le saladier de frites brillantes d’huile et tachetées de gros sel. Et ils mangent, saucent, sucent leurs doigts gras. Silence.

« La petite Mouzon en est à son cinquième mois », annonce la mère, « et c’est curieux comme elle le porte bien ! Quand je pense à sa mère qui, il y a bien trente ans maintenant, cherchait à dissimuler ce qui lui arrivait. Car non ! – elle imite la voix forte d’un père – on n’a pas le droit de nous faire ce mauvais coup. Où donc as-tu été traîner ? Fallait-il donc que tu te laisses faire ?... Rien pour sauver les apparences, et ton ventre va grossir, s’arrondir ! Si au moins on pouvait inventer l’histoire de ce légionnaire qui, après être resté en permission, avec promesse de mariage en grande pompe, était reparti à la guerre et en était mort ! Mais non, écervelée que tu es. Et toute la contrée va s’en apercevoir. T’as pensé à nous autres quand tu agitais ton con ? » Silence de la mère. Les autres ont dû l’écouter et acquiescer de la tête. Un véritable chœur de réprobation. Cette unanimité a réconforté la mère. Maintenant, forte de sa victoire, soudés dans un même élan, ils retrouvent leur assiette. Un temps.

« Aujourd’hui, j’ai signé à l’Arsenal », informe le fils. « J’ai visité les différents ateliers, les vestiaires. Ca sent le propre, l’ordre. Rien ne dépasse. A la lingerie, ils m’ont nommé. Toute la journée à voir passer les treillis de la machine au séchoir, du séchoir aux casiers. Entre temps, il faut plier. Aujourd’hui, à la chaîne, je distribuais les slips kangourous blancs et les chaussettes. 2 slips et 2 paires de chaussettes par tête. Un officier est venu pour vérifier. Il avait l’air satisfait. Les gars ne bronchaient pas. Ca a bien dû durer deux heures. » Silence du fils. Tous, à son récit, ont dû relevé la tête La mère a dû sourire : la satisfaction de voir ce fils parvenu à un statut social qu’on peut envier. L’Armée, ça c’est une carrière. La sécurité de l’emploi. La retraite assurée. Et les villages de vacances, on pourra en profiter nous autres ? Le père, lui, avait pris une certaine gravité dans le visage. L’Armée, c’est du sérieux ! Maintenant, fort de sa victoire, soudés dans un même élan, ils retrouvent leur assiette. Un temps.

Et puis le père se met à pleurer. Il sent que le sanglot monte en lui. Il sent que la larme va remplir son œil. Il sent qu’il ne peut plus faire autrement que de poser la fourchette, de prendre la serviette qu’il n’a pas dépliée depuis le début du repas et de s’essuyer l’œil-traitre de son émotion. Tous ont dû s’en apercevoir. La mère surtout, avec un geste de dénégation du visage – du genre : «tu ne sais pas te tenir ! ». Le fils, très rapidement, parce que c’est d’abord la faim qui l’étreint. Maintenant, honteux de cet écart, mais soudés dans un même élan, il retrouve son assiette. Un temps.

Et tout d’un coup, résonne, venu d’on ne sait où, un « FALLAIT-IL ? ». Tous furent d’abord surpris. Puis, parce qu’il s’agissait d’ »éluder la question, ils ont accéléré le mouvement de mangeaille, au risque de s’étouffer, ont fini leur repas en deux minutes, ne laissant aucune miette, ont rangé la table et la mère a commencé la vaisselle quand les autres ont disparu.

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