Lis ton journal ! Lis ton journal ! Je connais ce système ! C’est un système admirable. Je crie, je questionne, je m’énerve, je perds la tête. Devant quoi ? devant un journal. Je vois tes mains qui le tiennent, je vois tes genoux et ton pied qui bouge en mesure, et moi je perds toute mesure, et derrière ce journal, derrière ce sale journal, je devine ta figure démoniaque. Je sais que tu me trouves grotesque ! Tu trouves grotesque qu’on aime et qu’on ait du cœur, toi, toi, qui prétends m’adorer et savoir m’adorer… Non ! Je mentirais ? Tu ne perds pas le nord, toi. Tu as donc oublié tout ce que tu me dis sur le creux de l’oreiller. Tu ne vas pas oser me dire que ça n’est pas ça ? Non ?! Tu oses ?? Je ne sais pas, hein ? Je sais attendre. Je sais écouter l’ascenseur et courir cent fois à la porte. Je sais guetter le téléphone et les taxis qui ralentissent et qui passent, je sais compter jusqu’à mille, jusqu’à dix mille, jusqu’à cent mille ! Je sais toutes les tortures chinoises et les supplices nocturnes. Je sais crier d’où tu viens et avec qui étais-tu ? Mais je ne sais pas aimer.
Toi tu t’y connais en amour, tu t’y connais en silence. Le silence chez toi c’est un art : un journal. Un simple journal. Tu lis un journal ! derrière un journal tu te moques de ma douleur et tu cherches le programme des films américains où tu apprendras de nouvelles méthodes pour me nuire… D’où viens-tu ?… Où étais-tu ?… Avec qui étais-tu ?… Ne réponds pas ! Tu répondrais un mensonge. Car tu mens, tu mens, tu mens continuellement. Lis ton journal ! Lis ton journal ! Ou du moins fais semblant de le lire. Je ne suis pas ta dupe. Je sais très bien que tu m’écoutes, que tu me trouves démodée, folle, folle à mettre dans un asile. Tiens !… voilà une idée. Tu devrais téléphoner à la police et me faire enlever par une ambulance. Quoi ? Quoi ? je croyais que tu daignais me répondre. Mais non, tu lis ou tu fais semblant de lire. Tu connais les moyens subtils de me rendre folle… Et cette radio ! Cette radio que tu as mise exprès. Cette radio qui joue ailleurs, et qui parle chez moi, chez nous ! Prends garde je ne supporterai plus ce journal ! Je vais t’arracher ce journal…
Non ! Non ! Pardonne-moi. Je perdais la tête…
Reste assis. Reste… Je ramasse ton journal, je te le donne, lis-le, ou fais semblant de le lire. J’accepte. Oui, je le veux. Je suis vaincue.
Je suis fenêtre, je suis porte
Je suis horloge et je suis nuit,
Les gens heureux meurent d’ennui…
Et que le diable les emporte !
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