dimanche 16 mai 2010

Le refus

Deux textes de Maurice Blanchot, de 1958.
Quelle actualité !
« A un certain moment, face aux événements publics, nous savons que nous devons refuser. Le refus est absolu, catégorique. Il ne discute pas, ni ne fait entendre ses raisons. C’est en quoi il est silencieux et solitaire, même lorsqu’il s’affirme, comme il le faut, au grand jour. Les hommes qui refusent et qui sont liés par la force du refus, savent qu’ils ne sont pas encore ensemble. Le temps de l’affirmation commune leur a précisément été enlevé. Ce qui leur reste, c’est l’irréductible refus, l’amitié de ce Non certain, inébranlable, rigoureux, qui les tient unis et solidaires.
Le mouvement de refuser est rare et difficile, quoique égal et le même en chacun de nous, dès que nous l’avons saisi. Pourquoi difficile ? C’est qu’il faut refuser, non pas seulement la pire, mais un semblant raisonnable, une solution qu’on dirait heureuse. En 1940, le refus n’eut pas à s’exercer contre la force envahissante (ne pas l’accepter allait de soi), mais contre cette chance que le vieil homme de l’armistice, non sans bonne foi ni justifications, pensait pouvoir représenter. Dix-huit ans plus tard, l’exigence du refus n’est pas intervenue à propos des événements du 13 Mai (qui se refusaient d’eux-mêmes), mais face au pouvoir qui prétendait nous réconcilier honorablement avec eux, par la seule autorité d’un nom.
Ce que nous refusons n’est pas sans valeur ni sans importance. C’est bien à cause de cela que le refus est nécessaire. Il y a une raison que nous n’accepterons plus, il y a une apparence de sagesse qui nous fiat horreur, il y a une offre d’accord et de conciliation que nous n’entendrons pas. Une rupture s’est produite. Nous avons été ramenés à cette franchise qui ne tolère plus la complicité.
Quand nous refusons, nous refusons par un mouvement sans mépris, sans exaltation, anonyme, autant qu’il se peut, car le pouvoir de refuser ne s’accomplit pas à partir de nous-mêmes, ni en notre seul nom, mais à partir d’un commencement très pauvre qui appartient d’abord à ceux qui ne peuvent pas parler. On dira qu’aujourd’hui il est facile de refuser, que l’exercice de ce pouvoir comporte peu de risques. c’est sans doute vrai pour la plupart d’entre nous. Je crois cependant que refuser n’est jamais facile, et que nous devons apprendre à refuser et à maintenir intact, par la rigueur de la pensée et la modestie de l’expression, le pouvoir de refus que désormais chacune de nos affirmations devrait vérifier. »
Texte publié dans le n°2 de la revue du 14 Juillet (25/10/58),
dont l’article d’ouverture est « La France sans peuple ? ».
« C’est ainsi que derrière la souveraineté de forme religieuse (et anachronique) s’annoncent ou s’affirment les manifestations beaucoup plus modernes de l’activisme politique, allant des intrigues permanentes des factions à la menace de prétoriens […], en passant par le réseau déjà serré du contrôle policier, pour descendre jusqu’au pur et simple gangstérisme politique. De même, nous voyons les puissances du néocapitalisme utiliser la mystique de l’unité souveraine, la détourner de son sens idéal pour la faire répondre aux exigences de la domination économique, qui a besoin d’un pouvoir centralisé, au service des plans et en vue de l’efficacité technocratique. Ici, le Souverain n’est plus le Sauveur qu’appelle le désespoir des foules instinctives ; il n’est pas le chef de guerre que souhaite l’armée, et capable de prendre le pouvoir au nom de la guerre et au nom de l’armée ; il est le Directeur, un être de caractère impersonnel, qui dirige, surveille et décide selon les nécessités de l’organisation capitaliste moderne. »
M. Blanchot,
article de clôture du N°3 de la revue 14 Juillet (18/06/59),
intitulé : « La Perversion essentielle »
Textes parus in Maurice Blanchot – Ecrits politiques 1953-1993, éd. Gallimard, coll. « Les cahiers de la NRF »

1 commentaire:

Gwen Kerouedan a dit…

Exemple des jours derniers : La Thaïlande .. A quand la fin de la dictature